Elle ne croit pas à toutes ces conneries, Anna. À ces histoires de forces maléfiques qui influent sur nos actions, nos esprits, nos pensées, guident nos actes et entourent d'un halo mystérieux les événements troubles. Elle ne croit pas aux histoires de fantômes, de vampires, de génies magiques qui offrent trois vœux. Elle ne croit qu'en l'Homme et elle sait à quel point ce dernier peut être mauvais, pernicieux, malin. Elle sait à quel point il est plus facile de croire que des forces supérieures s'affrontent quelque part, le Bien et le Mal. Que ce sont ces forces les responsables de ce qu'il se passe sur notre planète, mais Anna sait ce n'est pas le cas. Elle sait que les vrais monstres, ce sont nous. Le vrai Mal, les méandres du cerveau humain. Et on ne lui fera pas dire que ce qu'elle a ressenti dans cette chambre d'hôtel, dans la voix de cette femme, lui donne l'impression d'avoir assisté à quelque chose qui n'a rien de normal. Quelque chose qui ne répond pas aux lois que l'on connait, qui n'a ni maître, ni limites. On ne lui fera pas dire et pourtant elle y croit. À cet instant, elle se dit que cette enquête n'est pas de son ressort. Ni du ressort d'aucun flic, en vérité.
- On est un "on" alors maintenant ?
Heureusement qu'elle s'est mis à parler celle-là, elle était presque en train de l'oublier. Est-ce qu'elle s'est résignée à l'idée de devoir se la coltiner aujourd'hui ? Oui. Est-ce qu'elle s'est résigner à l'idée de devoir se la coltiner sur toute la durée de cette foutue enquête ? Par tous les dieux, bien sûr que non.
- Aujourd'hui je n'ai pas suffisamment de force pour en dépenser inutilement à essayer de vous faire fuir, aujourd'hui. Demain en revanche, vous avez plutôt intérêt à ce que je ne vous croise pas. Plus jamais.
Elle ressort la voix de policière stricte et sévère, et elle le fait bien. C'est dans son tempérament d'être aussi froide, aussi calme, mesurée et incroyablement sèche. Des fois, elle se dit qu'elle n'est que ça. Qu'une flic aigrie, sans vie sociale ni vie de famille. Merde, c'est sacrément triste tout ça. Anna se reprend en entrant de nouveau dans la gare. Toute l'enquête ne se déroulera pas ici mais c'est plus pratique de laisser une unité sur le terrain si la scientifique a besoin de plus d'analyses. Elle fait partie de cette unité. Elle ne la dirige pas, mais c'est visiblement elle la plus énergique de leur troupe de joyeux lurons, alors a pris les choses en main.
- Qu'est-ce qu'on vous a dit ? Au téléphone ?
- Quoi ?
- Au téléphone ? Vous aviez l'air en colère.
Bon sang, cette femme est pire qu'une MST. On l'attrape sans le savoir et après, c'est super dur de s'en débarrasser.
- Je n'étais pas en colère, simplement frustrée. Ils ont la vidéo-surveillance, la scène qu'ils m'ont décrite me parait... improbable, disons. Et ils m'ont parlé d'Henriette aussi, la mère de Laura. Elle fait partie des disparus.
- Qu'est-ce qu'il y a sur la vidéo-surveillance ?
Anna souffle une deuxième fois, elle sait qu'elle enfreint la loi en parlant à une pure inconnue d'une enquête ultra confidentielle mais sa présente est réconfortante, en un sens. Et elle a un bon sens de la déduction, elle est futée. Elle sait qu'elle peut lui être utile et pour l'instant elle préfère se fier à son instinct qu'au règlement. Les deux jeunes femmes entrent à nouveau au poste de douane, désert.
- Ils sont partis manger, on va bien voir par nous-mêmes.
Enfin en vérité, elle n'en sait rien. Il est tard, alors elle suppose qu'ils sont partis manger. Si ça se trouve, ce qui a fait disparaitre ces onze personnes a bouffé ses collègues et ne va tarder à les dévorer elles aussi. Anna pianote un instant sur le clavier usé du bureau et finit par trouver le fichier en question.

VOUS LISEZ
Memoriae
Misterio / SuspensoGare de Genève, 8 août. La chaleur est insupportable. Onze sexagénaires disparaissent sans laisser de trace. Le seul témoin présent ne se souvient de rien. Absolument de rien. Et puis il y a ces deux-là, celles qui n'ont jamais vraiment su commen...