Chapitre 46 : Genève

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Apparemment, ils étaient à Paris lorsqu'Anna a repris le contrôle de sa vie. Elle a balancé le gars toujours inconscient au bord de la route dès qu'ils se sont un peu éloignés de la ville. Pour ce qui est de John, elle ne l'a pas lâché des yeux depuis leur départ. Elle se demande vraiment pourquoi il s'est embêté à les conduire jusqu'à Caen s'il voulait tant refaire le chemin inverse, si vite. D'habitude, c'est pas elle qui réfléchit à tout ça.

- Avouez-le au moins, vous n'avez jamais eu l'intention de nous aider.

Ça, c'est une certitude désormais. Si elle lui demande ça après presque six heures de trajet, c'est pour se donner le temps de réfléchir. Elle a pas vraiment eu l'occasion de le faire avant, toute bouleversée qu'elle était par ses souvenirs fraichement retrouvés. John a l'air tout bonnement dépité quand il la regarde pour la première fois depuis six heures de trajet. Il a raté son coup et il pensait sûrement pas se faire avoir par une nana comme ça.

- Non, jamais.

Au moins, c'était dit. Tout ce qu'elle aimerait maintenant c'est comprendre. Comprendre pourquoi il les a suivi, pourquoi il leur a menti, dans quel but, qu'est-ce qu'il croit, qu'est-ce qui est vrai. Sauf qu'encore une fois, il lui manque la moitié de ce groupe de choc. Elle ne parvient plus à réfléchir normalement depuis qu'elle est partie sans rien dire, et ça la fait chier. Gravement. Elle arrête pas de se demander si oui ou non, elle est en danger.

- C'était quoi le but de tout ça, alors ? Et qu'est-ce que vous auriez fait de moi ?

Y a trop de questions à poser et trop peu de choses qu'elle est prête à croire, tout ce qui sortira de sa bouche sonnera mensonge désormais.

- Je cherchais votre mère, et ma femme. J'ai pensé que vous étiez un bon moyen de récupérer les deux. Vous, en particulier. Pas votre amie.

Les méninges d'Anna s'affolent alors que ses doigts se referment sur le couteau, les pensées qui fusent à toute vitesse pendant qu'elle se demande si oui ou non il se fout de sa gueule. Sûrement que oui, sauf qu'elle ne sait pas à quel point. Et puis elle repense à la station service, à la façon dont il l'a isolé d'Odile. Elle a pris les choses dans le mauvais sens et John s'est planté lui aussi.

- Vous pensiez qu'elle viendrait me voir.

Elle, pas Odile. Il pensait qu'elle sortirait de son trou pour lui parler à elle, pas à la journaliste. Que Céleste profiterait de l'occasion pour enfin l'atteindre. Sauf que ce n'est pas ce qu'il s'est passé.

- Oui. Mais au lieu de ça, elle s'est rendue auprès de votre amie. Quel genre de mère fait ça ?

Les mâchoires d'Anna se bloquent d'un coup, chargées de toute la tension que les paroles du britannique portent, de toute leur signification. Elle se demande sincèrement s'il sait ce qu'il s'est passé. Aimée était au courant, elle lui a sûrement raconté. Anna ignore encore à quel point elle s'en veut pour ça, à quel point elle est prête à se laisser ronger par la culpabilité pour un meurtre commis il y a plus de dix ans. Par une petite fille. Une petite fille qui ne voulait pas tuer. Un accident ? Elle aimerait se dire que c'était un accident.

- Vous vouliez m'utiliser comme monnaie d'échange, c'est ça ? Faire pression sur elle ?

John soupire, toujours imperturbable mais aux airs légèrement dramatique. Il a perdu de sa superbe, sans aucun doute.

- Oui, mais il semblerait qu'elle n'en ait plus rien à faire de vous.

Les phalanges presque blanche serrées sur sa lame, Anna se répète en boucle que tout ce qu'il souhaite c'est qu'elle perde le contrôle. Une perte de contrôle lui permettrait peut-être de reprendre le dessus, ou le faire tuer. C'est quitte ou double, elle n'est pas très sûre que John la craigne vraiment. Ni qu'il veuille continuer à vivre. Dans un état d'esprit pareil, autant tenter sa chance.

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