Elle se fait très bien à la vie ici, Odile. A vrai dire, elle pourrait même rester plus longtemps si elle n'avait pas tant d'obligations et si tout n'était pas aussi cher. La température en aout à Saint-Gervais reste relativement agréable comparé au four qui se trouve un peu plus bas. L'altitude fait des miracles sur son teint et on mange bien ici, le petit-déjeuner était succulent ce matin.
- Donc tu ne vas pas aller la chercher ?
Odile se tourne vers Hervé qui semble assez interloqué par son comportement pour le moins détaché.
- Non, je ne vais pas la chercher. Elle a décidé de bouder comme une petite fille, alors très bien. J'enquêterai seule.
Anna n'a pas voulue la rejoindre ce matin, elle ne s'est pas remise de leur découverte et au fond Odile le comprend très bien. Tout ça, c'est déroutant. Cette affaire en elle-même est déroutante et elle n'aurait sans doute pas aimé y trouver des informations sur l'un de ses parents. C'est tout de même sacrément improbable que la flic trop zélée qui décide d'enquêter sur quelque chose qui ne la concerne pas soit la fille d'une des protagonistes de l'histoire. Ou de l'antagoniste, qui sait ? Après tout, Céleste ne semble pas avoir disparue.
- Et c'est comme ça que tu enquêtes ?
Odile regarde Hervé tristement. Si seulement il pouvait être moins dur avec elle. Puis elle regarde ses fesses en train de se réchauffer confortablement installées dans ce bassin très agréable. Peut-être qu'il n'a pas tort d'être aussi sévère tout compte fait.
- T'as pas autre chose à faire toi ? Du genre me laisser seule avec Madame J'ai-un-passé-difficile alors que j'ai besoin de toi ?
Hervé la regarde lui aussi tristement, un peu comme si elle le décevait. Beaucoup. Les fesses lui aussi dans le bassin, il observe les montagnes qui se trouvent tout autour d'eux avec un air relativement solennel, comme s'il était en train de composer un poème ou peut-être de philosopher. Platon devait avoir cette tronche là tout le temps, du moins c'est ainsi qu'Odile se l'imagine.
- Tu devrais aller lui parler. C'est pas normal tout ça, cette histoire avec sa mère. C'est sûrement important, il faut que vous en discutiez pour que tu comprennes. Vous avez beaucoup d'éléments mais vous ne faites aucun effort pour les lier entre eux.
Odile se tourne à nouveau vers lui comme s'il venait de l'insulter non seulement elle mais ses ancêtres aussi en prime de ça.- Je t'en prie, continue, dis qu'on est à chier comme enquêtrices.
Son ami secoue la tête, visiblement légèrement lassé par son attitude.
- Ce n'est pas ce que j'ai dit, je dis seulement que vous ne coopérez pas malgré la discussion que vous avez eu.
- A qui la faute, franchement ?
C'est vrai, c'est Anna qui refuse de lui parler. Anna qui s'obstine à vouloir tout gérer seule, à ne rien daigner partager. C'est la faute d'Anna si cette enquête ne progresse pas et Odile n'en démord pas.
- Tu ne lui dis pas tout non plus.
Son regard appuie sur elle lourdement et fait monter en elle une vague de culpabilité bien méritée, celle qu'elle s'acharne à oublier.
- Il y a des choses qu'elle n'a pas besoin de savoir.
- Bien sûr que si.
- Et en quoi ça aiderait l'enquête, hein ?
Ça y est, elle s'énerve. Hervé déteste quand elle fait ça. Quand elle monte sur ses grands chevaux, part au galop et se fiche bien de savoir si oui ou non elle emmerde les autres avec la poussière soulevée par ses sabots. La rousse se lève et s'enveloppe aussitôt dans le peignoir le plus épais qu'elle puisse trouver. Depuis qu'il la connait, Odile n'a pas changé. Toujours aussi ronde et toujours aussi complexée. Il lui a déjà dit à quel point il trouve ça ridicule, mais il sait aussi que ça ne changera rien. La jeune femme s'enfuit sans un mot de plus et laisse Hervé derrière elle à nouveau. Si sa présence la réconforte souvent, elle est cette fois devenue pesante. Mais ses mots tournent dans sa tête et l'accompagnent jusqu'à la porte de sa chambre et par extension, celle d'Anna. Odile s'approche de la porte, hésite une seconde ou deux, puis tambourine sans fin.
- OUVRE MOOOOOOI.
La porte s'ouvre en un quart de seconde sur une Anna qui n'a manifestement pas dormi de la nuit. Ses yeux sont exorbités, Odile savait qu'elle ne la laisserait pas faire autant de bruit plus longtemps. Anna est une personne qui aime vivre dans l'ombre, qui ne parle et ne rit pas trop fort de peur de déranger les autres, qui aime l'ordre et la clarté. Tout le contraire d'Odile, petit capharnaüm sur pieds.
- Tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas me mettre à l'écart comme ça. On avait dit qu'on enquêterait ensemble, on avait dit qu'on ne se cacherait rien, qu'on se ferait confiance et tu...
Derrière la blonde, sa valise fermée, ses affaires rassemblées. Odile s'arrête dans son élan et ne comprend pas le regard fatigué de sa compère improvisée.
- Tu...
- C'était une mauvaise idée. Tout ça c'est... c'est une mauvaise idée.
Odile fait un pas en arrière, puis deux. Elle apparait soudainement catastrophée en comprenant la situation. Elle allait partir. Elle va partir. Et elle ne comptait sûrement pas l'en informer, sûrement pas lui dire au revoir. Elle allait l'abandonner là sans même songer une seule seconde à ce que cette enquête représente pour elle. L'opportunité. L'occasion de montrer à tout le monde qu'ils se trompaient.
- Tu es lâche. Tu es incroyablement lâche et tu le resteras sans doute toute ta vie. Tu ne veux pas faire face à tes fantômes, t'as pas assez de courage pour ça. Tu t'arrêtes à la première difficulté parce que tu ne sais pas où aller. Je n'aurais jamais dû espérer trouver... un soutien en toi. C'était une erreur.
Une mauvaise idée, comme elle le dit si bien. Il y a un arrière goût dégoutant qui se diffuse sous sa langue, quelque chose qui ressemble au sang. C'est la déception. La déception de tout ce qu'elle s'était imaginé et qui ne se produira pas. Elle fera cavalier seule cette fois encore, elle n'aurait pas dû y croire, pas dû s'attacher. Elle s'attache trop vite, trop fort. C'est un de ses nombreux problèmes. Odile descend les escaliers quatre par quatre et passe devant la réceptionniste en courant. Elle est à l'opposé d'Anna sur tous les plans, mais cette fois elle fuit elle aussi. Elle a besoin d'air et n'est pas sûre d'en trouver dans ce bâtiment chargé de non-dits, et c'est encore bien pire dans celui ayant été condamné. Elle court pieds nus jusqu'au cours d'eau qui passe près des termes et traverse le pont pour accéder au chemin de randonné. Le sien est toujours aussi bas et il n'y a personne à ce moment là. Les épines de pins, les branchages et la terre séchée lui font mal lorsqu'elle court mais elle a besoin d'espace, elle a besoin de calme même si ça implique de se retrouver cernée par les insectes et écorchée de la tête au pied. Elle déteste les insectes, bon sang qu'elle les déteste. Sans trop savoir combien de temps après et sans trop comprendre comment, elle atteint bientôt la cascade qui se déverse du haut de la montagne. Elle souffle à ce moment là, reprend ses esprit et sa respiration. Bon sang, pour quelqu'un qui n'aime pas le sport, elle est plutôt fière d'elle. Finalement, elle en rirait presque de son coup d'éclat. Il n'y a qu'elle pour s'improviser randonneuse le temps d'une crise de nerf, pieds nus et en peignoir. Elle s'apprête à tourner les talons quand elle voit cet étrange plaque au loin qui détonne par rapport à la couleur du rocher. Odile fronce les sourcils et fait de son mieux pour s'approcher, même si ce n'est pas du bon côté de la cascade. Elle n'a pas ses lunettes mais elle parvient tout de même à lire l'essentiel. Son cœur s'agite dans sa poitrine alors que l'air lui manque à nouveau.
"Ici repose Helga, tu continues à exister dans nos souvenirs."
Il faut qu'elle parle à Anna.
NDA : Toutes mes excuses pour ce chapitre en retard, je vais essayer de reprendre un rythme quotidien mais c'était plus facile quand je n'avais pas mes cours à suivre en même temps TT J'espère tout de même que ce chapitre vous aura plu et je vous remercie de continuer à m'envoyer vos retours et à voter, vous êtes des sucres enrobés de chocolat. À bientôt et joyeuse Saint-Valentin (oui même pour les célibataires) !

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Memoriae
Mystery / ThrillerGare de Genève, 8 août. La chaleur est insupportable. Onze sexagénaires disparaissent sans laisser de trace. Le seul témoin présent ne se souvient de rien. Absolument de rien. Et puis il y a ces deux-là, celles qui n'ont jamais vraiment su commen...