Chapitre 42 : Mercredi 11 avril

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Tout ce qu'Anna voulait savoir à cet instant, c'était si elle allait mourir. Pour une femme aussi jeune, elle n'a que peu de rêves et d'espoirs. Elle n'est pas effrayée par la mort, c'est sans doute une des raisons pour lesquelles elle est entrée dans la police. Elle s'est dit que si elle risquait sa vie, peu importe comment, sans doute que ça aurait du sens. Sans doute qu'elle mourrait en ayant eu l'impression que ça comptait. Ce n'était pas tout à fait vrai, mais ça l'a maintenue en vie. Elle n'a jamais été de celles à vouloir percer dans le journalisme et devenir une légende, à quitter son village pour déménager dans une grande ville et vivre au jour le jour. Anna a toujours vécu dans cet entredeux, sans vouloir vraiment cesser de vivre mais en ne redoutant pas le jour où cela arriverait. Elle n'avait pas peur, c'est quelque chose qui la percute alors qu'elle se réveille avec un mal de crâne terrible et les deux poignets attachés à une chaise. Les deux chevilles aussi, elle s'en rend compte en essayant de bouger.

- Je ne suis pas le méchant de l'histoire.

Manquait plus que ça. La blonde ne dit rien et se contente de fusiller du regard. Sa lèvre inférieure lui fait atrocement mal, sans doute qu'elle se l'ait abimée en tombant. Elle ne lui parlera pas. Ne lui décrochera pas même un mot.

- Je suis simplement quelqu'un avec des intérêts divergents.

Anna finalement, reçoit une série d'images qui lui montrent qu'elle est furieuse contre lui, même si elle ne le voulait pas. Parce que ce n'est pas elle d'avoir envie de sauter à la gorge des gens, même s'ils lui ont fait du mal. Elle n'est pas violente, d'habitude.

- Tout ce que je sais, c'est que vous me matez comme un gros pervers pendant que je suis inconsciente.

Ou du moins c'est ce qu'elle en a déduit, puisqu'il a pris la parole quasi instantanément après son réveil. Elle en a marre des mystères et marre de discuter, elle veut simplement qu'on se décide. Soit il la tue, soit il la laisse partir. Alors elle ira chercher Odile et tout rentrera dans l'ordre. Le sourire du vieux la rend encore plus dingue, il prend une chaise et s'assoit devant elle. Pendant ce temps -là, elle réalise qu'ils bougent. Si elle tient compte des vibrations du sol et du vent qui frappe à l'extérieur, probablement dans un train. Pas le genre qu'elle prend d'habitude, plutôt le genre qui transporte de la marchandise. Autant dire que ça ne la rassure pas, pas du tout.

- Je ne fais que veiller sur vous. Vous avez reçu un choc.

- Que vous m'avez donné.

Au tac-au-tac, Anna réplique sans jamais cesser de le regarder comme si elle allait lui arracher les yeux. Sans doute que c'est ce qu'elle ferait si elle n'était pas attachée.

- Combien de temps je suis restée comme ça ? Vous m'avez droguée ?

Sans doute, elle ignore qu'elle est la gravité du coup qu'on lui a mis mais normalement, elle n'était pas censée s'évanouir aussi longtemps. En se concentrant, elle peut sentir l'humidité qui a envahi le haut de son crâne et ce qui pourrait être une sorte de pansement. Elle a saigné et il l'a soigné, peut-être. Elle en sait rien, suppose seulement. C'est pas comme si elle pouvait faire différemment.

- Ce n'est pas important, vous allez bien. Et vous continuerez d'aller bien si vous restez tranquille.

Sauf que la flic n'a aucune envie de rester tranquille, elle veut se détacher, lui exploser le nez, poser une bombe dans ce train, le quitter pendant qu'il est toujours en marche, courir si vite qu'elle fera le tour de France en moins d'une heure et retrouver Odile comme ça. Elle va bien, c'est sûr. Elle de l'énergie à revendre et la douleur ne l'éteint pas.

- Dites moi ce que vous allez faire et ce que vous nous voulez. Vite.

De A à Z, elles ont été roulé dans la farine par des vieux cons qui leur ont menti. Elle ne compte plus croire un mot de ce qu'il raconte mais ne veut pas être agressive verbalement. Il devra bien la détacher un jour ou l'autre.

- Vous avez attiré l'attention de gens importants, tout ça... ça ne vous regardait pas. Vous êtes jeunes, vous êtes impulsives et vous avez souhaité comprendre. Vous n'auriez pas dû et honnêtement, vous en avez trop découvert. Lorsque vous êtes arrivées à Londres, on m'a demandé de vous suivre pour...

- Qui ça, "on" ?

Il est trop pratique ce "on" et Anna en a assez des non-dits. Elle en a plus qu'assez et en vérité, a presque envie de tenter l'honnêteté. De lui dire que tout ça, ça ne la regarde pas et qu'il a raison. Qu'elles ont mis le doigt sur quelque chose qui les dépasse et qui ne les concernent pas. Que tout ce qu'elle veut, c'est retrouver Odile et passer à autre chose. Il lui a déjà dit qu'elle ne risquait rien si elle coopérait, elle ne le croit pas mais sait très bien qu'elle n'en tirera rien de mieux. Rien de vrai, en tout cas.

- Mes employeurs. Ceux qui sont à la tête de ce trafic, Anna.

- Qu'est-ce qui est vrai ? Qu'est-ce qui est arrivé à Aimée ? Est-ce que vous nous avez menti pour ça aussi ?

Le vieux a l'air particulièrement dépité, comme si Anna ne comprenait rien à rien et qu'elle n'était qu'au mieux une ingrate, au pire une sotte.

- Je n'ai jamais menti. Aimée est bel et bien ma femme et elle a véritablement disparue à son entrée en France.

Si elle aurait aimé rester impassible, la blonde ne peut pas s'empêcher de ricaner lorsque John lui dit n'avoir jamais menti. À ses yeux, il n'a fait que ça.

- Écoutez moi, nous allons bientôt arriver. Je vais vous détacher et vous allez me suivre. Sans faire de vague. Nous ne vous voulons aucun mal, nous souhaitons seulement que vous oubliez ce que vous avez appris durant ce dernier mois. Alors nous allons sortir du train, prendre un taxi, quitter cet endroit et votre vie redeviendra parfaitement normale.

Normale. Anna reste bêtement bloquée, hébétée par ce mot. Sa vie normale, c'était les soirées où elle rentrait dans les environs de vingt heures, se retrouvait seule avec son chat pour réchauffer un truc déjà préparé, bouffait devant les infos et se couchait deux heures plus tard, épuisée. C'était les journées sans fin, les matins trop tôt et l'ennui, l'ennui infini. C'était sans Odile, surtout. Et c'est à ce moment-là qu'elle comprend, elle ne veut plus d'une vie normale. Et elle a peur de mourir.

- Très bien.

Son cœur bat extrêmement fort quand il défait ses sangles, principalement parce qu'elle ne sait pas quoi faire pour se sortir de là. John ne bouge pas, elle ne bouge pas non plus. Elle sait qu'il y a des gens à l'extérieur du wagon. Elle sait qu'il n'est pas bête à ce point. Elle sait aussi qu'il attend qu'elle attaque, et qu'il a plus de soixante ans. Malgré tout, il a l'air en bien trop bonne santé pour qu'elle ne tente quoi que ce soit.

- Je savais que vous saurez vous montrer raisonnable. 

Mais elle ne le sera jamais. Pendant qu'elle était inconsciente, elle s'est souvenue du mercredi 11 avril.

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