Chapitre 19 : Madame

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À cet instant, Odile était persuadée qu'elle allait mourir ici. 

Ici, dans cette cave étrange, avec ces objets étranges et cette flic étrange. Ici, dans un endroit qu'elle ne connait pas, de soif, loin de sa famille, à essayer de découvrir quelque chose qui est assurément mieux au fond d'un placard. C'est comme ça qu'elle va finir, elle en est sûre. Elle aurait dû écouter sa mère et ne pas se montrer trop curieuse, trouver un emploi stable, chiant à mourir, et vivre sa petite vie tranquillement. Elle aurait peut-être pu se mettre en couple, qui sait ? Trouver quelqu'un avec qui partager ses soirées, lire un bouquin, se laver les dents. Ce genre de petits bonheurs qui contribuent au grand. Des choses simples qui rendent tout moins compliqué. Oui, elle aurait sûrement pu avoir ça. Quel dommage qu'elle soit aussi butée.

- C'était quoi ça ? Anna ?

Sa voix est un peu étranglée, comme si on venait tout juste de compresser longuement ses cordes vocales. Elles en sont sorties meurtries, pétrifiées par la peur.

- Dis moi que ce n'est pas ce que je crois ?

Mais le visage de la blonde en dit plus que n'importe quel mot, Odile ferme les yeux. Elle peine à y croire sérieusement. Est-ce qu'elles ont fait quelque chose de mal ? Déplacé quelque chose où il ne fallait pas ? Est-ce que cet endroit est comme un de ces tombeaux de pharaons qu'on voit dans les films ? Elles ont marché sur le mauvais fil, déplacé le mauvais chandelier ? Ou est-ce qu'on les a suivi jusqu'ici ? Anna se détourne d'elle et se met à tambouriner contre la trappe, furieusement. Odile aimerait bien lui dire que ça ne sert à rien, mais elle ne sait pas. Elle ne sait pas ce que tout ça signifie, elle veut simplement s'en aller. À ce moment précis, elle est prête à jurer à l'univers qu'elle ne viendra plus jamais mettre son nez dans les affaires qui ne la regardent pas. Plus jamais. Elle irait au couvent s'il le faut pour s'en empêcher. Tout plutôt que de mourir ici.

- On va mourir ici.

Bien sûr, c'est parfaitement limpide maintenant. Anna roule des yeux en revenant vers elle pendant qu'Odile fait déjà les cent pas. Ce n'était pas très grand ici, maintenant ça semble minuscule.

- Il faut rester calmes. C'est peut-être temporaire. Ça peut faire partie du système de sécurité, tu ne penses pas ? C'est possible après tout, il doit y avoir des millions d'euros entreposés en objets dans cet endroit. Une fermeture automatique de toutes les...

- Est-ce que tu trouves vraiment que cet endroit à des airs de centre commercial ? T'as vu la trappe qu'il y a au dessus de nos têtes ? Tu penses vraiment qu'on ouvre ce machin comme la porte d'un moulin ? Il faut te faire un dessin ?

Odile s'énerve, elle piétine légèrement et passe la main dans sa poche arrière pour en sortir son portable. Pas de réseau, très peu de données mobiles. Elle hurle intérieurement en essayant d'envoyer un message à la réception, qui ne part pas. De toute manière, elle est presque sûre que la réception ne les aiderait pas.

- Alors qu'est-ce qu'on fait ?

Anna semble réellement désemparée et ce constat rend Odile aussi coupable que terrifiée. Elle comptait sur elle pour avoir un plan, elle comptait sur elle pour savoir où aller. Elles sont aussi perdues l'une que l'autre, et ce n'est pas bon du tout.

- Je ne sais pas.

Odile passe une main dans ses cheveux, elle observe autour d'elle et se décide à continuer à photographier l'endroit sous toutes ses coutures. Après tout, autant que sa mort n'ait pas servie à rien.

- Qu'est-ce que tu fais ?

Odile hausse les épaules, c'est une très bonne question.

***

Plusieurs heures se sont écoulées, peut-être des jours entiers pour ce qu'elle en sait. Sa tête repose sur l'épaule d'Anna et elle se sent lourde, terriblement lourde affalée sur le sol gelé. La rousse fait de son mieux pour réveiller ses muscles mais se rend très vite compte qu'elle n'est plus au sous-sol. Elle est dans sa chambre, ou dans celle d'Anna peut-être. Un cadavre de tequila git à côté d'elle, bouteille vide parmi tant d'autres amassées dans un si petit espace. La première pensée qui lui vient en tête, c'est qu'elles ne sont pas responsables de tout ça. Elles n'ont pas bu cet alcool et le mal de crâne qu'elle ressent n'est pas le même que celui que l'on subit après une soirée trop arrosée. Elle le sait. Odile se réveille doucement, chancelle jusqu'à la porte de la chambre qu'elle a le bonheur de trouver ouverte. Elle fait quelques pas, entend quelques bruits. A moitié affalée contre le mur, elle trouve la force de tendre l'oreille.

- Elle est toujours ici. Oui Madame. Je ne sais pas si elle se souvient. Je ne sais pas non plus si elle a compris. Madame, je... bien. J'ai fait de mon mieux, Madame. Bien.

Le dos de la journaliste reste fondu à la tapisserie, elle attend que l'orage passe même si elle ne sait pas d'où il provient. Sa tête la fait atrocement souffrir, elle se sent toujours aussi lourde. Elle décide de faire marche arrière et de réveiller Anna, elle n'ira nulle part sans elle. Mais elle se heurte à un mur, ou plutôt à l'une des femmes de chambre. Cette dernière agrippe son poignet, fermement.

- Vous me faites mal.

Elle se souvient encore avoir prononcé des mots similaires ici-même, en regardant une autre geôlière malmener une autre femme désorientée. Elle se souvient avoir été énervée par cette vision, passionnément. C'est peut-être ce qui lui donne la force de se dégager, reprenant son bras sans lui laisser l'occasion de le saisir à nouveau.

- Vous devez partir. Vous avez fait beaucoup de raffut, Mademoiselle Lesage et vous. Nous détestons les clients irrespectueux, qui ne pensent qu'à leur bien-être et se moquent de celui des autres autour d'eux.

- Mais vous tolérez le trafic d'art au sous-sol ?

La jeune femme agit comme si elle venait de lui cracher au visage et de la brûler avec un tisonnier. Elle fait quelques pas en arrière, ses yeux expriment un étonnant mélange de curiosité et d'animosité. Un peu de peur aussi, sûrement.

- Partez. Vous n'êtes plus les bienvenues ici.

Odile ouvre la porte de la chambre d'Anna, la laisse entrouverte un instant, la regarde depuis là. Une seconde, peut-être deux. Simplement pour lui faire comprendre qu'elle sait parfaitement de quoi elle parle. Qu'elle n'a rien oublié.

- Anna, lève toi. Anna. S'il te plait, réveille toi. 

Mais quand elle ouvre les yeux, son regard est vide à nouveau. Un frisson parcourt tout le corps d'Odile, le même qu'elle avait senti en scrutant le fond des prunelles de Laura. Elle ne se souvient de rien.


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