- Tu vas la laisser filer ?
- Bien sûr que non.
Il fallait s'y attendre, quand Odile Lafougère est déterminée à obtenir quelque chose, elle finit par s'en emparer. Ou presque. Le permis est une exception à cette loi universelle, il en faut bien une après tout. Il doit bien avoir un objet sur terre qui résiste à la loi de la gravité, au moins un. Le permis est celui d'Odile.
- Tu devrais peut-être, elle a l'air aussi têtue que toi.
Mais déjà, la journaliste se met en marche. Hervé n'a même pas le temps de finir sa phrase qu'elle est déjà à mi-chemin entre l'étage inférieur et supérieur. Le temps de soupirer et elle est presque arrivée. Hervé songe un instant à la planter là, cette imbécile, mais il renonce très vite à cette idée en la rejoignant.
- Tu finiras par avoir ma peau. Et sûrement celle de l'univers avec.
La rousse hausse les épaules, qu'est-ce que ça peut bien faire, franchement ? Le monde est truffé de défauts, de vices et les pandas sont en voie d'extinction. Si les autres planètes sont à l'image de la leur, alors elle se dit que l'univers peut bien être sacrifié à la vérité. Au moins ça.
- Tu sais où elle est partie ?
Odile acquiesce, une fois, deux fois. Successivement. Elle a vu la flic partir à droite et après ça, il faudra improviser. De toute façon, elle est tellement désagréable que les passants l'auront forcément remarquée.- Par là. Et puis pour le reste, on verra bien. Je suis une des plus brillantes journalistes de ma génération, je ne vais certainement pas me faire distancer par une gratte-papiers de bas étage. En avant.
Et ils s'élancent et elle pourrait presque flairer sa trace tant elle est évidente. Droit devant eux se trouve un hôtel, Odile mettrait sa main à couper que le témoin se trouve à l'intérieur. Elle avance, bouscule quelques passants, manque de se faire renverser par plusieurs taxis et un bus mais elle parvient à l'atteindre en relativement peu de temps.
- Tu crois qu'ils vont te laisser entrer ?
Odile ne répond pas, elle est sûre que ce sera le cas. Déjà parce qu'elle est persuadée de pouvoir arpenter n'importe quel lieu, n'importe quand, avec n'importe qui mais aussi et surtout parce que ce n'est rien qu'un hôtel près d'une gare. Ni trop cher, ni trop luxueux, ni trop sécurisé pour qu'elle rencontre le moindre problème en y entrant. Alors elle se lance comme si elle était une habituée des lieux, salue la réceptionniste et appelle l'ascenseur.
- Eh merde, j'ai oublié un truc.
Elle bloque l'ascenseur, retourne à la réception.
- Bonjour madame, toutes mes excuses de vous déranger ainsi dans vos occupations. Je suis de la police et ma collègue vient d'entrer dans le bâtiment. Elle m'attend mais... arf, vous allez trouver ça idiot, mon portable n'a plus de batterie ! Impossible de lire son message. Le message avec le numéro de la chambre. Et de l'étage.
- Vous souhaitez que je l'appelle ?
Par tous les dieux, pourquoi tout devait être si difficile ? Pourquoi ce monde hargneux s'acharnait-il à mettre des barrières entre elle et son succès ? Ô désolation. Ô fatalité.
- Non ! Non, ne vous donnez pas cette peine. Vous savez quoi ? Je vais me débrouiller.
Elle s'éloigne, Hervé était resté près de l'ascenseur mais n'en a pas perdu une miette.
- Je viens de regarder, il y a seize étages. Qu'est-ce qu'on fait maintenant Sherlock Holmes ?
Odile soupire fort, très fort. Elle retenterait bien le numéro de la tragédienne mais elle a peur de lasser son auditoire à force. Et puis elle tourne la tête et elle la voit. Elle est juste là, à marcher comme une lionne en cage sur le même carré de moquette, son portable à la main.

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Memoriae
Mystery / ThrillerGare de Genève, 8 août. La chaleur est insupportable. Onze sexagénaires disparaissent sans laisser de trace. Le seul témoin présent ne se souvient de rien. Absolument de rien. Et puis il y a ces deux-là, celles qui n'ont jamais vraiment su commen...