Chapitre 24 : The Connaught Hotel

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Quand elle se réveille, tout est embrumé. Il y a des effluves de la veille qui viennent parfumer la pièce, Anna se rend compte qu'elle en a oublié la moitié. Ce n'est pas le même type d'amnésie que celle qui concerne les thermes, c'est différent. Elle sait que c'est lié à l'alcool, elle ne boit pas souvent et toujours avec modération. Sa tête la fait souffrir atrocement et elle a dormi dans des draps qu'elle ne reconnait pas. Elle se redresse, regarde autour d'elle. Une décoration très chic, beaucoup de goût, des boiseries un peu partout, des murs sculptés, un tapis qui semble très cher, un lit très confortable, des draps qui sentent très bons, qui sentent le frais et l'hôtel de luxe, peut-être un peu le parfum d'Odile aussi.

Et Odile, justement.

Une masse de cheveux roux emmêlés, la courbe de son dos, pas de vêtements. Pas de vêtements sur elle non plus, merde. Elle a quelques images qui lui reviennent en tête, une peau nacrée et son nez dans le creux de son cou, de la chaleur. Des mots rapidement échangés et ses lèvres un peu partout. Merde. C'était pas prévu ça. Pas prévu du tout. Anna a envie d'hurler quand elle comprend que ça ne peut tout simplement pas être autre chose que cette très grosse erreur, elle reste un moment à regarder le vide avant de se décider à se lever. Mais se lever pour faire quoi ? Elles sont censées enquêter ensemble, elle ne peut pas la planter là en lui payant le room service. Elle ne peut pas faire ce qu'elle fait habituellement, même si elle y pense. Elle y pense sérieusement.

- Je suis réveillée tu sais.

Merde. Merde, merde, merde. Elle attrape la première fringue qui lui passe sous la main et parce qu'elle mérite bien d'avoir un peu de chance après tout ça, c'est son jean et pas celui d'Odile. Elle cache le reste avec un coussin.

- Mais si tu veux, je peux faire semblant de pas t'avoir cramé en train d'essayer de te barrer.

Ah, c'était donc si flagrant que ça ?

- Et je peux me rendormir, et te laisser faire.

Anna balaie les possibilités dans sa tête, aussi vite que sa gueule de bois le lui permet. Elle a vraiment envie d'hurler à l'idée qu'elle a pu se laisser aller comme ça alors qu'elles ont si peu de temps à Londres. Alors qu'elles ont vraiment mieux à faire que s'envoyer en l'air. Les images lui reviennent en tête par flots, elle a du mal à oublier la façon dont son corps réagit au sien, son odeur et la courbe de ses seins.

- Ce serait un peu idiot, non ?

Pas très utile, surtout. Ça n'efface rien et Anna abomine tout ce qui relève de l'inutile. Ce n'est pas son truc les simagrées, le dramatique, les grandes tournures de phrases théâtrales. Ce n'est pas son truc, Odile.

- Un peu comme nous, non ?

Mais là elle marque un point. Anna abandonne son cousin et retrouve son sweat, il est temps d'arrêter de se lamenter et de pleurer sur leur sort. Elles n'ont rien fait de mal après tout. Rien du tout. La meilleure façon de sortir de tout ça, c'est de s'expliquer.

- Ok, on a fait une bêtise. Ça arrive à tout le monde, c'était une erreur, c'est humain, pas de quoi en faire tout un plat. On a plein de choses à faire à Londres alors je te propose de t'habiller et d'oublier cette histoire. Ça devrait pas être trop difficile, vu à quel point on était bourrées. Je t'attends à l'accueil.

Parce qu'elle ne va certainement pas rester là pendant qu'elle s'habille, se maquille ou fait on ne sait trop quoi de spécifique à Odile. Elle ne veut pas garder de proximité, la laisser croire à quelque chose qui ne sera jamais possible. Tout ça, c'est pour le boulot, rien de plus. Alors elle met le plus de distance possible entre elles, physiquement et verbalement. Elle minimise tout, leur complicité qu'elle n'a pas oublié et leur nuit. Dont elle n'a visiblement rien oublié non plus. Malheureusement.

- Ouais, d'accord, si tu veux, tu...

Mais Anna est presque déjà partie. Elle a déjà son blouson sur le dos et elle est prête à claquer la porte sans se retourner. C'est ce qu'elle fait. Une fois sortie, elle respire à nouveau. Un agent d'entretien passe devant elle en trainant sa grosse machine qui aspire, le sourire qu'il lui jette et sans équivoque. Merde, est-ce qu'elle se sont donné en spectacle à ce point là ? Est-ce que tout cet hôtel est courant ? Et combien ça coûte une nuit là-dedans ? À en croire la tronche de la moquette sur laquelle elle marche, probablement plus que son salaire d'un mois. Elle n'espère pas en tout cas, ce serait con de cramer toutes ses économies pour une nuit dont elle aimerait se séparer. Son pas est nerveux dans le hall, elle pianote sur son téléphone pour trouver l'adresse dont Odile lui a parlé. Elle n'ose même pas relever la tête dans l'ascenseur de peur de voir son reflet. Ça doit être effrayant. Ça doit puer le sexe pas assumé à plein nez. Anna souffle, c'est rien. Ce sont des gens qu'elle ne reverra jamais. Ils ne comptent pas et Odile non plus ne comptera bientôt plus. Elle ne fait pas beaucoup de conneries, mais des fois ça arrive.

- 886 GBP, please.

- Pardon ?

Elle a failli s'étouffer avec sa propre salive, ou ses propres larmes elle n'arrive pas à s'en rendre compte. Quasiment mille euros. Une nuit. Mille. Elle n'a pas le temps de faire la conversion en euros et honnêtement, s'en fout royalement. Ça reste une blinde et quelque chose dont elle n'avait vraiment pas besoin. Et dire qu'elle a joué les rats auprès de sa sœur chaque foutu jour de sa vie. Il ne faut pas trop dépenser, on ne sait jamais ce qui peut arriver, tout peut très vite déraper, etc, etc. Ah si elle était là, elle en entendrait parler pour une décennie. Anna tend sa carte de crédits, mais ça lui fait mal. Elle a l'impression d'avoir fait n'importe quoi, elle sait avoir fait n'importe quoi. Elle se sent coupable de penser ça, tout file à mille à l'heure dans sa tête et elle n'arrive pas à tout saisir. C'est difficile, elle l'a mérité. Le réceptionniste qui n'a même pas été foutu de lui dire bonjour lui rend sa carte, elle la remballe et va s'asseoir sur un fauteuil. Même les fauteuils ont l'air cher ici, tout à l'air plus cher que sa vie. Elle déteste ce genre d'endroits, elle déteste ces gens, elle se déteste, elle veut simplement s'en aller d'ici et Odile ne descend pas.

Elle est énervée.

Et c'est parce qu'elle est énervée qu'elle décide de remonter et d'aller la chercher. Elle reprend l'ascenseur, recroise le même gars et sa machine qui fait un boucan terrible, sent l'odeur du petit-déjeuner qui vient de se terminer et déboule dans la chambre sans frapper. Elle s'apprêtait à hurler quand elle entend Odile parler à quelqu'un. Elle se dit que c'est peut-être une conversation téléphonique, mais rien dans sa main, rien à son oreille, rien posé près d'elle. Personne avec elle.

- Mais à qui tu parles bon sang ?

À Hervé. Elle parle à Hervé.

MemoriaeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant