La bibliothèque

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Elisabeth

Mon étude des caractères avance même si je n'arrive toujours pas à cerner certaines de mes victimes.

Mr Charles Bingley est pour moi le pendant masculin de Jane. Il est beau, souriant et très confiant envers les gens qui l'entourent. Il ne sait dire non et semble très romantique. Les défauts que je pourrais lui reprocher sont également semblables à ceux de ma sœur: il est convaincu de la bonté des gens et n'imagine pas que l'un d'entre eux puisse causer du tort. Pourtant, certains pourraient être de très mauvais conseils.

J'ai clairement compris les desseins de Caroline Bingley qui n'a qu'un seul but dans la vie: se faire épouser du maître de Pemberley et vivre une vie de châtelaine dont elle pourrait s'enorgueillir dans les salons de Londres. Et pour s'y faire, elle ne prend aucun détour.

Mais alors que précédemment j'aurai imaginé qu'elle et Mr Darcy feraient un couple très assorti, je n'en suis plus si sûre. Ses tentatives de séduction sont vaines et son entêtement peu productifs. À plusieurs reprises, j'ai surpris Mr Darcy perdre patience à ses cajoleries verbales, trouver des prétextes pour l'éviter et même commencer à la remettre à sa place. Ainsi donc Caroline Bingley elle-même n'aurait pas toutes les qualités et les accomplissements nécessaires pour un homme aussi sélectif que le fier Mr Darcy? Je dois avouer que cette idée m'amuse au plus haut point. Et curieusement me soulage aussi...

Le caractère de Louisa Hurst est limpide. C'est une jeune femme un peu simple, bridée par une éducation insuffisante. Elle est influençable comme son frère mais dont le modèle reste sa grande sœur. Elle vit le rêve de Caroline par procuration, parce que, si celui-ci se réalisait, cela pourrait changer grandement son cadre de vie et ses connaissances. Ce qui me fait dire que Louisa est aussi cupide qu'orgueilleuse. Son mariage encore jeune me laisse à penser qu'elle était naïve et espérait bien plus que ce qu'elle a obtenu car elle vit avec son époux au crochet de son frère, sans avoir une maison bien à eux, ni enfants.

Quant à Mr Hurst, je n'ai pas grand chose à en dire. Il ne m'a presque pas adressé la parole si ce n'est que pour parler rôti ou jeux de cartes. C'est une épicurien opportuniste, un pique-assiette aimant un peu trop la boisson, un oisif avec peu d'esprit qui ne semble guère aimer la présence des autres, surtout des femmes, y compris la sienne. Je le trouve singulier sans trop savoir pourquoi.

Et puis il reste le plus froid et énigmatique de tous : Mr Darcy ! Je lui aurais volontiers pardonné son orgueil s'il ne m'avait pas blessé le mien. En toute impartialité, je dois avouer qu'il est plutôt bel homme, grand et d'une belle prestance. Mais ses yeux sombres toujours pointés sur moi me donnent la sensation incessante de chercher le moindre de mes défauts. Ce qui a tendance à me pousser à faire de même. Quant à son tempérament, il est hautain, dédaigneux, renfrogné. Il ne supporte pas la critique. Il n'aime pas le bruit, la danse, les amusements et la compagnie des gens simples. J'ai du mal à l'imaginer auprès de sa sœur qui serait, paraît-il, si accomplie. La seule chose que je ne peux lui reprocher c'est le goût pour la lecture. Mais prenez garde, Mr Darcy. Il arrivera un temps où je vous percerais à jour!

————

Ce matin je me rendis dans la bibliothèque, histoire de me trouver un peu de distraction, et je n'en fus pas épargnée.

Cette bibliothèque est pour moi assez étrange. Les ouvrages qu'elle contient sont si disparates et surtout rangés d'une manière si particulière. Je n'ai à ce jour pas encore compris son classement, ce qui me laisse supposer qu'il n'y en a aucun. C'est un peu comme si les livres avaient tous été posés là où il y avait de la place. Mon père, bien que peu méticuleux, serait horrifié par tant d'incohérences. Moi cela m'amuse car je ne sais jamais quel ouvrage je vais découvrir. Et à chaque livre que j'ai en main, je me surprends à le ranger ensuite de manière logique.

J'espère que ce petit bouleversement discret ne me sera pas reproché car après tout je ne suis ici qu'une invitée qui s'est imposée malgré elle. D'après ce que m'en a dit Mr Bingley, ces livres étaient déjà présents à son arrivée. Il suppose que c'était pour l'agrément de ses locataires que le propriétaire des lieux les y a laissés. Je tends à penser que, vu la nature de ces exemplaires, ce serait plutôt ceux qu'il aurait hérité et n'aurait point voulût emporter dans son nouveau logis.

Je fus soulagée de ne voir personne dans la pièce en y entrant et commençai à passer la main sur les couvertures en me demandant laquelle allait attirer mon regard. C'est alors qu'un râle grave résonna derrière moi et, à peine je me retournai vers l'origine de ce bruit, qu'un livre vola à travers la pièce et se dirigea droit vers moi. Je l'esquivai de justesse, il vint alors se heurter sur une pile d'ouvrages posée sur un guéridon. Le cri spontané que j'ai poussé résonna dans la pièce et je vis une silhouette bondir de la bergère dans laquelle elle devait être installée.

Mr Darcy venait de se lever, les yeux ronds de surprise et le teint blême à ma vue. C'était donc lui qui avait poussé ce cri et lancé ce projectile? C'était bien la première fois que je voyais cet homme perdre contenance et maitrise de ses nerfs. Je ne comprenais pas du tout ce qu'il venait de se passer.
– Élis... Miss Elisabeth! Bafouilla-t-il en se cachant derrière le fauteuil, ses mains bien devant lui.
– Mr Darcy, dis-je en faisant une petite révérence polie, un sourire aux coins des lèvres.
– Pardonnez-moi, je me croyais seul. J'espère ne pas vous avoir blessée.
– Non Monsieur, j'ai réussi à me dérober à votre offensive.
– Bien. J'en suis soulagé.
– Cela vous arrive-t-il souvent de faire voler les ouvrages à travers les pièces ? M'entendis-je répondre.
– Oh, heu, non évidement ! J'ai juste été pris d'une soudaine grande colère.
– Je vois. Je plains la cause ou la personne à l'origine de votre fureur.
– Je m'en prenais à moi même, Miss.

Voyant qu'il restait silencieux et inerte, je me décidais à m'abaisser et ramasser les livres épars au sol. Il me rejoignit, contrit, me priant de le laisser réparer seul sa maladresse.
Alors que j'allais prendre un des livres au sol, il fit de même et sa main se posa involontairement sur la mienne. Hormis celle de mon père, jamais une main d'homme n'avait touché la mienne non gantée. Celle-ci était grande, ferme et plutôt douce et je fus surprise d'apprécier sa chaleur. Nous restâmes ainsi hébétés, puis il lâcha prise, probablement aussi gêné que moi.

Nous nous relevâmes vivement alors que Charles Bingley entrait avec inquiétude. Nos cris l'avaient alerté et il venait voir si nous nous portions bien. Mr Darcy lui expliqua qu'il m'avait fait sursauter.
– J'ignorais que mon cher ami Darcy pouvait être aussi repoussant, taquina notre hôte.
– Non, du tout! M'exclamais-je malgré moi. Je me croyais seule dans la pièce, voilà tout.

Je sentis le regard de Mr Darcy se poser sur moi et supposais qu'il me remerciait intérieurement le fait que je ne relatais pas l'entièreté de la scène. J'ignore pourquoi je ne l'ai pas fait. Peut-être pour ne pas subir sa colère ou simplement ne pas le gêner davantage et volontairement devant son ami.

Mr Bingley partit aussitôt, au loin nous entendions les appels stridents de sa sœur Caroline. Il veilla néanmoins à laisser la porte grande ouverte.

Mr Darcy s'abaissa pour continuer à ramasser les ouvrages. Je reculai de deux pas afin de laisser une distance respectable entre nous tout en m'amusant de voir ce fier monsieur à mes pieds. Mon talon toucha quelque chose et je reconnus le petit livre qui m'avait pris pour cible. Je souris et m'en saisis avec curiosité.

Lorsque je l'ouvris, je remarquais qu'il était en français et à la taille des paragraphes j'en déduisais qu'il s'agissait de poèmes.

– Mr Darcy, j'ignorais qu'on pouvait se mettre dans un tel état pour un peu de poésie !

Ce dernier leva sa tête vivement et lorsqu'il vit ce que je tenais dans mes mains se mit à rougir brièvement. Je n'aurais jamais cru Mr Darcy capable d'avoir ce genre de réaction et encore moins en être témoin.

– Miss Elisabeth, pourriez-vous me rendre ce carnet, s'il vous plaît ? Lâcha t-il en se levant, le regard noir et la voix grave.

Sa demande ressemblant plus à une injonction, je n'avais guère envie de subir une seconde fois son courroux, d'autant qu'il tenait en ses mains plusieurs livres pouvant servir à nouveau de projectiles. Avec le recul, je ne pense pas qu'il l'aurait fait mais à la manière qu'il avait de vouloir récupérer ce carnet, je n'avais plus envie de plaisanter.

J'obéis et sortis de la pièce aussitôt, les mains désespérément vides de lecture mais l'une d'entre elles me brûlait encore du contact fortuit avec celle de Mr Darcy.

Orgueil & TentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant