L'opportuniste

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Charlotte

Alors que je revenais de Meryton, je trouvais Mr Collins, la mine abattue et les sourcils froncés, marchant au hasard dans la campagne. Il ne me fut pas difficile de comprendre ce qu'il avait dû se passer.

Ce n'est pas faute d'avoir prévenu Lizzie de l'intérêt que lui portait cet homme et que sa demande serait probablement imminente. Tout le monde l'avait vu tourner autour d'elle lors du bal de Netherfield. Le pauvre Mr Collins avait jeté son dévolu sur la plus entêtée et rebelle de la fratrie Bennet !

Je comprenais parfaitement sa démarche de trouver une épouse parmi ses cousines. L'idée était généreuse. Elle permettait de réduire les conséquences pénibles de l'entail et de garder une Bennet à Longbourn. Qui mieux qu'une fille de la maison pourrait en être la maîtresse ?

Mais mon amie n'est qu'une indécrottable romantique, persuadée de ne pouvoir se marier que si les deux partis se complètent et se plaisent. Quelle utopie ! Au lieu de vivre au travers de ses livres, elle ferait mieux d'être un peu plus réaliste si elle ne veut pas finir seule sa vie. Je suis bien placée pour le dire !

Je l'avais déjà sermonnée lorsqu'elle avait réagi avec virulence aux propos de ce Mr Darcy. On ne se met pas à dos un homme de si grande naissance. J'avais espéré que son séjour à Netherfield lui aurait apporté un peu d'obligeance et de jugeote mais elle en est revenue encore plus butée sur les habitants. Comment lui faire comprendre qu'elle réduit toujours un peu plus ses chances de s'accrocher un bon parti ?

Et que dire que ce Whickam qui ne fait qu'attiser son aversion pour le maître de Pemberley alors qu'il ne s'est même pas présenté au bal ? Quoiqu'il en soi, je me suis bien amusée à les voir danser ensemble, ne sachant qui des deux, Darcy ou Lizzie, était le plus fier ou le plus orgueilleux !

J'aurai bien proposé à Mr Collins de danser avec lui mais il ne m'a guère prêté attention. Il faut dire que je ne suis plus une jeunette et mes traits ne sont pas aussi fins que ceux d'Elisabeth.

Quoiqu'il en soit, aujourd'hui sur ce chemin de campagne Dieu m'offrait l'opportunité de me fixer et c'était à moi de saisir ma chance. Lizzie l'avait eu et l'avait repoussé. Je n'avais donc aucun regret à formuler.

Je m'approchai, l'air de rien, vers Mr Collins et lui demandai comment il se portait. J'ai la voix douce et l'oreille attentive et on me confie vite ce que l'on a sur le cœur. C'est une de mes qualités qui peut s'avérer utile quand on sait la manier.  Il me reconnut, se confia facilement et j'eus ainsi la confirmation de la raison de son désarroi. Feignant une légère lassitude, je lui proposais de s'assoir sur le bas côté. Deux buissons nous offrant l'intimité de sa confession.

Je voyais que bien vite, il reprenait confiance et lorgnait même avec insistance ma poitrine et sa légère commissure qui apparaissait de mon sage corsage. C'est comme s'il me découvrait et ce premier regard appréciatif envers moi n'était pas pour me déplaire. Enfin !

Il continuait néanmoins à se plaindre de la déception de sa bienfaitrice qu'il allait engendrer en ne revenant point marié. Je posais négligemment ma main sur sa cuisse, la voulant innocente et apaisante.

Il n'en prit pas ombrage, que du contraire. L'effet de surprise passé, il voulut mieux me connaître, me demandant quels étaient mes accomplissements et mes intérêts. Je lui répondis ce qu'il voulait entendre : Que j'étais une femme des plus accommodantes. Que j'étais pieuse et ne lisais pas plus que de raison. Que j'aimais jouer du piano, cuisiner, coudre et aider mon prochain. En le regardant dans les yeux je précisais que je pouvais, s'il le fallait, m'occuper des vaches et les traire. Je le vis déglutir et se raidir, ma main toujours posée là pour lui plaire. Il comprit que je n'étais pas comme mon amie Lizzie, et que mon tempérament était d'apparence beaucoup plus docile.

Je continuais à défendre mon plaidoyer en insistant sur le fait que je ne pouvais imaginer une vie sans être auprès d'un époux que Dieu m'aurait donné. En me penchant un peu plus près, j'insistai sur le fait que mon rôle serait d'agréer et de satisfaire mon mari. Et que j'aurai beaucoup de plaisir à m'atteler à lui offrir le nombre d'enfants que le seigneur m'accorderait.

Je le sentis se crisper et sa peau rougir à mes propos. Mon petit laïus faisait de l'effet et intérieurement je jubilais. Je l'interrogeai sur sa santé, feignant de croire qu'il faisait quelque malaise. Il bafouilla le pauvre, mal à l'aise. Voyant qu'il semblait subitement être à l'étroit à l'aine, je lui proposai de lui être agréable. Et, afin de lui venir en aide, je déboutonnai agilement 4 boutons et repliai le carré de tissu grège.

Sa respiration s'accéléra mais il ne m'arrêta pas, choisissant au contraire de placer son séant dans une position bien plus stable. La main laissée sur l'endroit, je fis la naïve, m'inquiétant de son excroissance et, curieuse je l'avoue, j'écartai les pans de sa chemise pour arriver à mon but. 

Alors que je saisissais l'instrument, il reprit la parole. Il trouvait que la fraîcheur de mes doigts était agréable et atténuait son soudain tourment. Il me complimenta pour la douceur de ma main, je lui confirmai que le reste de ma peau l'était davantage. Je vis ses pupilles se dilater instantanément. Il posa sa main sur la mienne afin de me guider dans son apaisement.

La partition était pour moi nouvelle. Je trouvais le morceau insolite, s'accroissant selon la cadence, se raffermissant au rythme de la danse qu'il orchestrait. Puis, bien vite, le tempo passa d'Allegro à Prestissimo et cela se termina de concert en une Outro surprenante.

La fin de notre entretien fut plus galant. Il m'accompagna jusqu'à chez moi et n'hésita pas longtemps à accepter de rester souper. Mes parents étaient, comme à l'accoutumée, très accueillants quoique un peu surpris de cette visite improvisée.

Durant le repas sans prétention, je surpris à plusieurs reprises le regard de Mr Collins sur moi. Le poisson était ferré, j'avais tiré sur la ligne, je n'avais plus qu'à attendre avant de le capturer. Avant de partir, il fit une courbette des plus ridicules, me prit la main, la baisa et me demanda de pouvoir repasser le jour suivant.

Ma mère, toujours aussi perspicace, sentit que quelque chose avait changé dans cette relation et m'interrogea sur mes intentions. Au début, peu encline d'imaginer sa fille aînée partir vivre au loin dans le Kent avec un homme de cet acabit, se rasséréna en réalisant que c'était pour en revenir un jour à la tête de Longbourn.

Ma nuit fut étrangement paisible et le lendemain tout se passa selon mes plans. Comme convenu, Mr Collins repassa et demanda à voir mon père. Ils sortirent tous deux de leur entrevue, complices et souriants. Mon soupirant m'emmena alors dans le jardin afin de faire officiellement sa demande. Un genou à terre et la voix monocorde, il fit sa requête comme on dicte un sermon. J'acquiesçais, sincèrement ravie de mon accomplissement.

La seule chose que j'appréhendais était la réaction d'Elisabeth aussi je priai Collins de me laisser le lui annoncer. Qu'elle fut surprise serait un euphémisme et dans ses yeux je perçus sa déception.

Certains diront que je n'ai point de cœur ni de bon jugement d'accepter pareille union mais je pense que cet accord satisfait les deux partenaires. Lui pourra tenir sa promesse en me présentant à sa bienfaitrice. Il aura une épouse facile et à l'esprit pratique. Aidant charitablement ses ouailles le jour mais la nuit venue, désireuse de connaître un peu plus les plaisirs de la chair avec son époux.
De mon côté, j'aurai enfin bientôt un mari qui se croit maître mais que je peux, d'un simple coup de main, plier à mon profit. Je serais un jour maîtresse d'un beau domaine, voisin de celui de ma famille. Je trouverais en cette noce, honorabilité et fidélité, un homme pas aussi sérieux qu'il n'en a l'air, tout en ayant une profession stable et respectable.

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Voilà le chapitre qui m'a beaucoup amusé à écrire.
Sacrée coquine et opportuniste, cette Charlotte, non?

Orgueil & TentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant