Le bal

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Mary

Quelle horrible soirée j'ai passé à ce bal de Netherfield ! Si Mère n'avait pas insisté pour que j'y aille, je serais restée bien tranquille à la maison à les attendre.

J'ai été surprise que Mr Collins ait accepté avec tant d'élan de s'y rendre. J'aurai cru que, comme moi, il préférait une soirée calme à lire de fervents ouvrages que de s'adonner à pareille animation.

Je n'aime guère les assemblées bruyantes et envinées où on y découvre toute la panoplie de dégradance que peut engendrer l'être humain. La musique y est tintamaresque, les gens, parés de leurs atours affriolants, sont excités et grotesques, les danses sont là uniquement pour se montrer et se toucher en toute impunité. Et c'est sans parler des boissons qui y sont consommées sans aucune modération. J'ai vu mes cadettes se servir à plusieurs reprises sans que personne ne trouve à y redire. Quel spectacle navrant ! Si jeunes et déjà tellement perverties.

Mais la chose qui me brisait le plus le cœur était d'avoir sous les yeux la confirmation de ma désillusion.

À l'arrivée providentielle de Mr Collins en notre demeure, j'avais cru y déceler l'appel du destin, un signe que Dieu m'envoyait enfin pour mon avenir. Je pensais naïvement qu'il aurait été pour moi un époux exemplaire. Il n'est certes pas très beau mais, n'étant pas moi même qualifiée de beauté, il aurait été parfait pour moi. Je découvris que tout dans son attitude, son statut, ses qualités, étaient tout ce que j'espérais chez un homme sans jamais m'être posé la question.

Or cet homme-là dispose bien plus qu'une très belle situation de pasteur et d'excellentes relations. Surtout il apporte, avec son rameau d'olivier, la paix dans notre famille. Car en choisissant l'une d'entre nous comme épouse, il résoudrait à lui seul les angoisses de Mère et l'honneur de nous toutes en rehaussant notre situation familiale.

J'ai donc tout naturellement tenté ma chance de lui montrer qui j'étais et qu'elles étaient mes accomplissements. Mais me démarquer parmi quatre autres demoiselles, plus belles, plus bruyantes et plus extravagantes que moi est une gageure à laquelle je suis toujours perdante.

J'ai crains un instant que l'une mes cadettes lui soit à son goût, surtout lorsque Lydia s'est approchée quelques fois de lui et lui a chuchoté quelques mots à l'oreille. Quelle jeune fille dévergondée ! Ce n'est guère chrétien, mais j'avoue avoir parfois honte qu'elle soit ma propre sœur !

Heureusement Mr Collins est un homme intelligent et lucide et qu'il a vu clair dans le jeu de Lydia. Je ne sais pas à quel homme elle sera destinée mais ce ne sera pas celui-là !

C'est hier que j'ai compris où allait la préférence de Mr Collins et ce n'est assurément pas moi. Cela m'attriste profondément car, pour la première fois, je m'étais imaginé un avenir plus radieux que celui auquel j'ai toujours été destinée. Mais je me dois d'être courageuse et généreuse auprès de mon prochain. Dieu a prévu autre chose pour Mr Collins et son choix est judicieux. Car, qui d'autre que Lizzie pourrait lui convenir à part moi ?

Lizzie est la sœur que j'admire le plus. C'est celle qui est la plus sensée et la plus studieuse. Bon, ses lectures ne sont pas toujours appropriées et des plus pieuses mais au moins elle s'instruit et s'occupe l'esprit avec des choses bien moins futiles que les froufrous ou les jupons.

Je n'approuve pas toujours son caractère vif et son franc-parler mais il a été quelques fois bien utile pour remettre nos cadettes sur leur droit chemin en lieu et place de nos parents. Elle a à cœur la vie et la respectabilité de ses proches et a bien plus de patience que moi avec certains. J'en ai pour preuve cette stupide idée de Mère d'avoir poussé Jane à partir sous la pluie et l'indolence de Père de ne pas avoir réagi. Seule Lizzie a eu la présence d'esprit de se rendre au plus vite au chevet de Jane et d'y rester le temps de sa convalescence. Sans elle, que serait advenu la dignité de celle-ci et de sa réputation ?

Plus j'y pense et plus la chose me semble évidente. Lizzie adore s'occuper de ce domaine et c'est celle qui le connaît le mieux. Elle ferait assurément une bien meilleure maîtresse de maison que moi.

Mais ces considérations faites, je ne pouvais m'empêcher de poser mon regard sur le brave Mr Collins qui faisait la cour à ma sœur tout en dansant. Il se mouvait avec une relative aisance sur le parquet et Lizzie gardait une sage pudeur de circonstance.

Durant la soirée, j'ai en vain tenté de distraire une dernière fois Mr Collins en jouant quelques morceaux au piano mais rien n'y fit. Père y mît fin abruptement, me disant que je devais faire preuve de courtoisie et laisser d'autres jouer. Il avait sûrement raison mais je n'ai guère aimé me voir ainsi interrompue. Fort heureusement Mr Collins n'en a rien vu.

J'ai alors trouvé un siège de libre dans un endroit en retrait d'où je pouvais continuer à voir la piste de danse et y attendre que se terminent les festivités. Je fus surprise lorsque Mr Darcy se positionna dans la ligne en compagnie de Lizzie. Cet homme-là même que tout le monde dépeint comme désagréable et hautain et qui avait eu le malheur de dire tout haut ce qu'il pensait d'elle.

Je ne suis pas experte en la matière mais je pense n'avoir jamais vu ma sœur danser avec tant de grâce. Il régnait une certaine tension entre eux que je n'ai pas réussi à qualifier.

Alors que je m'interrogeai sur la raison qui avait poussé cet homme à l'inviter, je surpris une conversation entre Miss Bingley et sa sœur qui les regardaient également. Elles parlaient d'une chute de cheval qu'aurait fait Elisabeth. Je compris alors pourquoi Lizzie boitait un peu en revenant à Longbourn et admirai son abnégation à ne pas en avoir parlé. Lizzie n'est pas une personne qui se plaint facilement, comme le fait Kitty par exemple. Miss Bingley ajouta que Mr Darcy s'était sali en lui portant secours. Ceci prouvait donc que l'homme pouvait se comporter comme un gentlemen. Je conclus qu'il devait donc simplement lui demander comment elle se portait.

Je peux comprendre qu'il ne trouve pas Lizzie à son goût. Ce n'est pas une fille de son milieu. À vrai dire, il est dommage qu'il soit fortuné et qu'il possède la moitié du Derbyshire, car le cas échéant je dois bien avouer qu'il m'aurait bien plu. Il calme, discret et cultivé, il semble n'apprécier guère plus que moi les bals, il parait avoir avoir une morale irréprochable et pour ne rien gâcher il est plutôt bel homme ! Mais toutes ces richesses et possessions sont autant de freins à une vie sage, simple et dévote à laquelle j'aspire.

Sur le côté, parmi les autres badauds se tenait Mr Collins, sûrement très affligé de voir sa promise danser avec un tel homme. Je fus reconnaissante à Charlotte Lucas de lui tenir compagnie durant ce moment difficile. Brave Charlotte, toujours prête à rendre service !

Bien que neuf ans nous séparent, Miss Lucas reste pour moi un exemple de vertu et de bon sens. Cette femme passe sa vie à faire le bien autour d'elle. Elle garde la tête froide et ne cherche pas à tout prix un époux comme le font bon nombre de vielle filles de son âge. Oui, lorsque Lizzie sera mariée et partie dans le Kent, je serais heureuse que Charlotte transfère l'affection qu'elle porte pour ma sœur sur ma personne. Je suis sûre que nous pourrons devenir d'excellentes amies.

Orgueil & TentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant