Orgueil & Tentations

Le bain

Elisabeth

On m'a emmenée dans une pièce au fond du couloir du premier étage que je ne connaissais pas. La gentille femme de chambre Suzy m'a expliqué qu'il s'agissait du cabinet de toilette de Miss Bingley. Cela me fit sourire de penser que l'on me dorlotait dans les appartements privés de celle qui s'était justement moquée de moi quelques minutes plus tôt. Cela n'était peut-être que justice finalement.

La petite pièce était lumineuse, une haute fenêtre offrait une magnifique vue sur la campagne environnante. Au centre, trônait une grande baignoire en cuivre. J'étais assise sur un petit fauteuil, le pied posé en hauteur, attendant que les servantes arrivent avec des seaux d'eau brûlantes afin de remplir la baignoire qui se faisait de plus en plus accueillante. Profitant de ce soudain moment de calme, j'observais plus attentivement les étagères et la petite console où s'étalaient parfums, onguents et poudres, les accessoires de beauté indispensables à Miss Bingley, ironisai-je intérieurement.

La grande psyché m'envoyait l'image pitoyable d'une jeune femme en haillons, immaculée de boue et les cheveux défaits. Je me faisais honte moi-même mais je ne pus m'empêcher de me mettre à rire de ma propre apparence. Je ne comprends d'ailleurs pas comment Mr Darcy ne s'est pas gaussé comme le faisait ouvertement Caroline. Soudain, l'image de cet homme me revint, lui aussi s'était sali en me portant secours. Son pauvre pantalon blanc ne l'était plus guère et ses bottes plus aussi lustrées. Pourquoi ai-je remarqué cela ? 

Suzy m'aida à me défaire de mes braies qui n'étaient bonnes qu'à en faire des chiffons et j'inspectai mes blessures qui n'étaient que superficielles. Quelques éraflures aux bras, aux mains et aux genoux, tout comme lorsque j'étais petite fille et que je grimpais aux arbres sans savoir comment en descendre.

Je refusai la blanche chemise que me proposait Suzy et rentrai dans le bain chaud complètement nue avec délectation, puis la brave femme de chambre sortit de la pièce.

Ma cheville me faisais déjà moins mal. Je me mis à me remémorer l'évènement en entier : Tout d'abord l'impatience que j'avais de pouvoir sortir enfin faire un peu d'exercice loin de Mr Darcy. L'insistance de Caroline à me faire monter un magnifique cheval qui n'était pas le mien. La réaction colérique de Mr Darcy et sa méfiance envers mes capacités de cavalière. Il doit bien jubiler à présent de sa clairvoyance car je n'ai pas fait un mile sur le dos de son pur-sang !
La gêne de chuter aussi peu élégamment et de sentir que la personne qui me portait assistance était celui qui devait en avoir le moins envie. Je me suis retenue de montrer à quel point ma cheville était douloureuse, ne pouvant accepter que difficilement le bras de cet homme hautain et froid. Je voyais déjà combien il lui était déjà difficile de me le tendre. Bien heureusement je n'avais pas besoin qu'on me porte, car je pense que la chose aurait été bien au delà de ses préoccupations ! L'image qui apparut alors dans ma tête fut des plus saugrenues et des plus improbables. Non, voyons ! Cela est ridicule ! Le maître de Pemberley porter une simple fille à peine passable à la robe déchirée? Quelle inconvenance ! Je m'égarai dans mes sottises.

Je pensais également à Hermès, quelle bête magnifique ! Puis songeai au cheval de mon père et me promis d'aller voir s'il se rétablissait de sa blessure.

Après m'être vigoureusement frottée, je me détendais enfin dans ce bain aux effluves de jasmin. Je remarquai une jolie boîte de bois marqueté posée à mes côtés lorsque Suzy entra les bras chargés de vêtements propres. Je l'interrogeai sur l'usage de la boîte. Elle regarda l'objet et se mit à glousser, les mains dans la poche de son tablier.

– Ce sont les « jouets » de Miss Bingley, mademoiselle ! Si vous le permettez, on m'appelle en bas. Mais vous pouvez me sonner dès que vous aurez besoin de moi pour vous aider.
– Oh oui, je vous remercie Suzy ! Je vous demanderais juste une chose.
– Laquelle, mademoiselle ?
– De me prévenir lorsque Miss Bingley sera de retour. Je ne voudrais pas me trouver dans son cabinet de toilette lorsqu'elle montera.
– Bien sûr, mademoiselle, fit elle avec une petite révérence.

Jamais je n'avais reçu autant d'attention, une large baignoire ainsi du temps et du calme pour me détendre. Je décidai donc de profiter de ce moment privilégié.

La jolie boîte m'intriguait tout autant que son contenu. Miss Bingley disposait encore à son âge de jouets? Et si oui, pourquoi les ranger dans un cabinet de toilette plutôt que dans un salon de jeux ?

Trop curieuse, j'essuyai mes mains et fit basculer le petit loquet de laiton qui maintenait le coffret fermé. À l'intérieur étaient soigneusement disposé deux objets incongrus. L'un était en bois et l'autre en ivoire, tous deux de formes étranges, allongées et cylindriques. Je m'interrogeai sur leur usage jusqu'à ce que je repense à un des poèmes que j'avais découvert dans le fameux petit carnet :

Mais je me plains que tout le jour,
Fuyant même le nom d'amour,
Vous contrefaites la doucette,
Cependant que, toute la nuit,
Vous prenez un nouveau déduit
Avec un manche d'époussette.

Une autrefois, il faut choisir
Le temps, le lieu, et le plaisir
De vous caresser à votre aise,
Usant de ces bâtons polis
Dont l'on rehausse les gros plis
Et les bouillons de votre fraise.

Ceux de velours ne coulent pas,
Ceux de satin deviennent gras,
Et sont rudes à la couture.
Ceux de verre, par un malheur,
S'ils se cassaient, en la chaleur,
Vous pourraient gâter la nature.

Il vaudrait bien mieux pratiquer
L'amour même, sans se moquer,
Sans aimer l'ombre de son ombre,
Et sans un ébat tout nouveau,
Vous jouer de quelque naveau
Ou d'un avorton de concombre.*

Je rougis fortement en comprenant donc la règle simpliste de ces jouets. Sacrée Miss Bingley ! Je ne la savais pas si coquine ! Ainsi donc voici comment elle occupe ses soirées lorsque lui vient une migraine ? Cela fait-il partie de ce qu'elle appelle un accomplissement ? Me moquai-je.

J'inspectais avec plus encore d'intérêt ces deux objets. Si la forme était réaliste, alors voici à quoi ressemble le membre viril d'un homme ? La taille est-elle conforme ?
Je m'étais déjà interrogée dans le passé après avoir été le témoin d'une saillie d'équidés. La dimension de l'attribut du mâle était si monstrueuse que cela m'en avait quelque peu effrayé. À tenir ces deux là à pleine main, je me sentais bien plus rassurée.

Ma curiosité attisa le désir de pratiquer et je n'eus pas besoin d'explication pour y jouer. Le moment était opportun, j'étais seule et dévêtue, le bain chaud et ma position confortable. Mes seins nus frissonnaient au dehors de l'eau alors que le reste de mon corps ondulait au rythme de mes propres chatouillements. La sensation était étrange, mais avec un peu de patience je trouvais vite l'adéquate orientation. Qu'il est surprenant de faire monter en soi sa propre excitation et de percevoir de nouveaux sens !

J'en veux à Miss Bingley de m'avoir humiliée, rabaissée et critiquée depuis des jours mais je devais à présent la remercier de m'avoir fait découvrir à son insu un plaisir solitaire des plus... réjouissants !

Et ce secret restera jusque dans ma tombe car ni un mari ni un proche ne devrait un jour l'apprendre. Pourtant qu'y a-t-il de mal à trouver une occupation qui vous apporte tant de plaisance ? Car, après tout, je ne fais de mal ni à autrui ni à moi-même.

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J'espère que ce chapitre vous aura plu et vous aura apporté autant d'amusement que moi j'ai eu à l'écrire. L'écriture a cela de plaisant qu'il me permet de faire des découvertes étonnantes sous le prétexte de recherches historiques ! 😊

*Godemichy, poème de Charles de Cigogne, auteur érotique (pour ne pas dire pornographique) du XVIIe siècle, source: https://www.mariellebrie.com/histoire-du-godemichet/

Photo de Pauline Caranton