Orgueil & Tentations

Le bourreau des cœurs

Whickam

Mon brave Dennis, quelle bonne fortune qu'il m'ait convié à le rejoindre dans ce coin perdu d'Angleterre ! Sa proposition ne pouvait pas mieux tomber. Il était temps de m'éclipser de mon dernier lieu de villégiature où mon nom commençait à se faire connaître auprès de créanciers et de quelques pères de famille inquiets.

Quand j'ai appris que mon ami de longue date était entré dans la milice, je l'ai bien raillé. Mais depuis quelques jours que je suis son bataillon, je dois avouer que j'ai révisé mon jugement. Non pas que je me sente soudain l'envie de sacrifier ma vie et mon âme pour mon honneur ou ma patrie ! Que nenni ! Mon honneur je n'en ai que faire et je tiens bien trop à la vie pour m'en défaire au nom d'un pays auquel je ne dois rien.

Mais j'ai remarqué bien des avantages à faire partie du régiment, du moins provisoirement. Partout où les uniformes rouges font irruption, je vois les regards se détourner de ma personne pour dessiner sur les visages féminins sourires et coquetteries et sur ceux des hommes, estime et considération.

Sans compter que là où ils se rendent, les portes leur sont grandes ouvertes. Ils sont nourris, logés et blanchis tout en bénéficiant d'une petite solde sans pour autant exercer de rudes tâches. Non, vraiment, cela me tente de profiter du prestige de l'uniforme. Et s'il venait à ce qu'on me demande de prendre les armes, alors je m'éclipserai comme de coutume et ajouterai à ma liste de méfaits celui de déserteur. Je ne suis plus à cela de près.

Pas plus tard que ce matin, nous avons fait la connaissance d'une belle brochette de demoiselles. J'avoue que la gente féminine est ma petite madeleine et que j'en abuse par centaine. À mes heures perdues, je m'amuse à les classifier par ordre de difficulté.

Il y a d'abord les écervelées, celles qui me tombent dans les bras sans avoir à lever le petit doigt. Celles-là sont récréatives et me permettent de m'amuser sans devoir débourser argent ou effort. Ce sont ces petites péronnelles dans les pubs ou les veuves dans les salons qui s'ennuient ou ont besoin de réconfort. J'en capture souvent lorsque je suis ivre ou fauché. Elles ne sont guère regardantes du moment que je leur apporte la distraction passagère dont elles ont besoin en les agrippant dans un coin.

En seconde position, il y a les bigotes, les prudes ou les récalcitrantes à mes atouts de séduction. Celles qui me donnent du fil à retordre et pimentent mon jeu car cela me demande plus de temps et de persuasion. Alors, quand vient le moment où elles cèdent, ma victoire a meilleur goût et ma jouissance est décuplée.

Le niveau supérieur, nécessite plus de temps et de contraintes car il me faut jouer un rôle pour les atteindre. Ce sont là les femmes de Baron ou filles de notaire. Plus difficilement atteignables, la récompense n'en est que plus remarquable. J'adore épicer le jeu, comme leur faire manger l'oreiller alors que leurs maris reçoivent dans la pièce d'à côté ! J'ai par exemple dépucelé une jolie mariée juste avant sa nuit de noce ou cette paire de jumelles, filles de ministre, lors de leur bal en Ecosse.

Le mieux est toujours de faire une pierre deux coups en récupérant ma mise. Aussi, lorsque j'engouffre sous leurs dessous mes précieux bijoux de famille, ce sont les leurs ensuite que je grappille.

Mais la satisfaction suprême, mon saint Graal, serait de séduire une fille de Lord ou de Earl avec une dote magistrale. Pour celle-là j'y mettrais les formes afin d'obtenir son aval et l'emmener alors jusqu'à l'autel. Cela durera probablement jusqu'à ce que je me lasse ou que j'épuise sa fortune.

Mais en attendant de trouver la perle rare, je me suis souvent mis sous la dent tout ce qui s'empare, jeune, vielle ou pucelle, voir par défaut de jeunes damoiseaux si leurs fesses sont bien pleines. J'ignore totalement de combien de batards je laisserais sur cette terre et je ne m'en soucie guère. Un homme d'église me crierait : « Au scandale ! » mais je m'en contre fout de finir en enfer.

Photographie de Victoria Davies