Les portes closes

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Elisabeth

En montant prendre des nouvelles de ma chère sœur, quel ne fut pas mon étonnement de surprendre le maître des lieux s'éclipser de la chambre de Jane. Il sortait à reculons en faisant des petits gestes amicaux et fut donc surpris de se retrouver nez à nez avec moi en se retournant. Il blêmit et chercha ses mots et des excuses qui justifieraient sa présence dans la chambre d'une demoiselle seule et alitée.

Je fronçais les sourcils et cela fut suffisant pour qu'il perde le peu de contenance qu'il lui restait. Pauvre Mr Bingley, on peut lire en lui à livre ouvert ! Et le sien ressemble à un conte de fées dans lequel il se prend pour le prince charmant venant à la rescousse de sa belle endormie.

Mais au delà de la sympathie qu'il m'inspire, il n'en reste pas moins un homme. En tant que sœur, il est de mon devoir de veiller à l'honneur et la respectabilité de Jane que je suis sensée soigner et accompagner. J'espère n'avoir pas failli. Si pareille situation aurait eu lieu à Longbourn, Père aurait empoigné Mr Bingley sans ménagement et lui aurait botté les fesses hors de la maison. Mère, par contre, aurait béni cet homme et lui aurait demandé la date du mariage. Heureusement pour la quiétude des lieux, ni l'un ni l'autre ne sont présents. Mais il me reste néanmoins à surveiller ces visites et surtout vérifier de l'assentiment de ma sœur concernant celles-ci.

Je la retrouvais bien confortablement assise et souriante mais les joues écarlates de me voir arriver aussi rapidement après le départ de son visiteur. Je la questionnais sur ce qui venait d'avoir lieu, elle me répondit timidement que Mr Bingley lui avait apporté une tisane. Elle savait pertinemment que ce n'était pas la réponse que j'attendais mais ne m'en dit guère plus.

Je sermonnais gentiment mon aînée sur le fait qu'elle devait veiller à sa conduite et sa dignité. Je voulais être sûre qu'elle puisse être capable refuser des comportements si elle jugeait ceux-ci trop entreprenants ou immoraux. Je fais confiance à son sens de la retenue mais je doute beaucoup plus quant à ses réactions face à un homme qui lui montrerait ouvertement son attirance et à fortiori aux conséquences qui pourraient en découler.

Alors qu'elle somnolait, j'en profitai pour sortir le carnet que j'avais précieusement caché dans mon châle afin le lire en toute tranquillité. Mais ce calme ne dura pas car des bruits et des voix provenant de la chambre voisine réveillèrent ma sœur. Elle se mit à soupirer, plaignant ce pauvre Mr Hurst d'être aussi malade et de gémir si souvent ainsi.

Je la regardai stupéfaite et écoutai plus attentivement ce qui nous parvenait à nos oreilles depuis le mur mitoyen.

– Ma chère Jane, par ce que j'en entends, je peux te rassurer que Mr Hurst semble aller très bien ! Et même bien mieux que ce que j'aurais présumé ! M'esclaffais-je tout bas, les mains devant ma bouche pour étouffer mon rire. 

Elle me regarda sans comprendre et je souris devant la douce ignorance de Jane.

– Que veux-tu dire, Lizzie?

– Ma chère Jane, Mr Hurst n'est point à l'article de la mort. Il est juste en train d'honorer sa femme en jouant avec elle à la bête à deux dos, lui répondis-je en sachant d'avance que ces mots la gêneraient fortement.

– Oh mon Dieu ! Fit-elle en cachant son visage sous son drap, honteuse.

– Je suis d'ailleurs surprise de ne pas percevoir la voix stridente de Louisa, ajoutai-je malicieusement.

Les bruits essoufflés et grinçants cessèrent sans apporter pour autant
de l'apaisement à ma pauvre sœurette qui essayait en vain de se rendormir.
Moi de mon côté, je me remémorai un événement datant d'il y a quelques années et qui m'avait alors ôté quelque peu mon ignorance :

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Lors d'une de mes promenades estivales, je coupais à travers champs lorsque j'entendis des cris de femme. Pensant qu'on la malmenait je m'approchais, prête à lui porter secours. Mais au détour d'une meule de foin je compris bien vite qu'elle n'avait point besoin de mon aide. Elle était en partie dénudée, la poitrine largement offerte à la vue et les jupons retroussés. Elle riait et criait le prénom de son amant qui la chevauchait. De l'homme, je ne vis qu'une paire de fesses blanches qui se dandinaient vigoureusement en poussant des gémissements bestiaux.

Comme toute bonne jeune demoiselle que j'étais, j'aurai dû détourner le regard et vite oublier cet obscène spectacle. Mais ma curiosité a toujours été vive et, bien cachée derrière ma paille, j'avais pris un singulier amusement à découvrir en quoi consistait l'accouplement humain.

Certes, la vie à la campagne m'avait enseigné beaucoup de choses mais les mammifères ne sont point des hommes. Et quant à nos parents, je ne me faisais guère d'illusion de les surprendre un jour, vu qu'ils ne partageaient plus le même lit depuis des lustres.

Ce divertissement amoureux m'avait au moins appris que la chose pouvait être agréable, au vu des regards que les amants se jetèrent ensuite. Et cela me réconforta sur mon avenir.

Dans l'éducation des jeunes femmes, il est interdit d'y songer. Dans certains livres, du moins ceux généralement à ma disposition, il y est fortement proscrit. Par contre, dans d'autres, comme ce carnet que je tiens présentement dans les mains, il y est très... imagé.

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Jane enfin endormie, je décidai de descendre me joindre un peu à mes hôtes. Je quittai la chambre et je vis Miss Bingley et sa sœur qui venaient de monter l'escalier. Je restai interdite de découvrir Louisa me faisant face alors que je la croyais encore auprès de son mari. Elles s'approchèrent de moi, le sourire mielleux et l'air perfide, c'est alors que j'entendis un bruit de serrure derrière moi. Je me figeai sur place en comprenant qu'il s'agissait de la porte de la chambre de Mr Hurst.

– Oh, Sylvestre, comment se porte mon époux? demanda Louisa par dessus mon épaule.

Je me retournai, stupéfaite de reconnaître le petit valet des Hurst, le visage rouge de surprise et sa mise un peu défaite. Il tenait un plateau de sa main tremblante.

– B... bien madame, bégaya le pauvre jeune homme en nous regardant toutes les trois. Je lui ai apporté un remède pour calmer son... indisposition. Il dort maintenant.

– Tant mieux ! Je n'en serais que plus tranquille, soupira Louisa en jetant un regard satisfait à sa sœur. Puis elle se rendit dans sa chambre, voisine de celle de son mari, visiblement ravie d'en être débarrassée.

Ainsi donc, le caractère de ce Mr Hurst s'avère bien plus intéressant qu'il n'y parait. Je le savais épicurien mais je l'ignorais plus à voile qu'à vapeur ! Je comprends mieux son désintérêt pour la gente féminine et ses larges siestes sensées être solitaires. Sacré Mr Hurst, cette révélation change bien l'image que je m'étais faite de lui !

Quand tu vois un joli garçon
Surtout ne fais pas de façon.
Attaque-le sans plus attendre
Dans son bel endroit le plus tendre,
Ne lui marque pas de respect
Mets donc ta main sur son hochet.

Chez la fille, il n'est point d'anneau qui vous enserre,
On ne respire point la douce odeur de peau.
On n'entends pas ces mots lascifs et délicieux.
On ne peut se plonger dans un regard candide,
Ni trouver d'endroit où poser la main qui vagabonde.*

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*Cet extrait de poème n'est pas de moi mais bien un réel poème datant du 18e.
Je recherche toujours sa référence.

Orgueil & TentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant