Rêves polissons

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Jane

Mr Bingley! Mère et moi n'avons que ce nom là en tête depuis des jours. J'ai cessé de le dire à voix haute afin de ne plus entendre ma chère sœur Lizzie se moquer gentiment de moi. J'ignore si elle comprend ce que je peux ressentir, elle qui est si lucide et rationnelle. Elle doit me trouver puérile et sotte alors que je suis son aînée.

Mais ce monsieur Charles Bingley a enclenché en moi des émotions que je n'avais jamais ressenties et que je n'arrive pas à exprimer. Si cela n'avait duré que le bal, j'aurai pu croire avoir rêvé mais ce gentilhomme est partout et ne me laisse pas l'oublier. Depuis des jours, nous le rencontrons aussi bien dans les rues de Meryton que chez les Lucas ou d'autres connaissances. Et à chaque fois que je le vois, je sens mon cœur palpiter, mon teint blêmir, mes mots se perdre. Je ne me reconnais plus !

Ah cette éprouvante timidité dont je suis munie, je m'en passerais bien parfois ! Si je pouvais être dotée du talent de converser de Lizzie, je pourrais plus facilement exprimer mes émois. Mais qu'oserai-je lui dire? J'ignore complètement ce qu'il peut ressentir pour moi. Certes il vient souvent s'assoir près de moi pour ma plus grande chance et me parle longuement, mais est-ce assez? Nous nous connaissons depuis si peu de temps et un homme de cette condition doit en rencontrer des femmes charmantes et bien plus éloquentes que moi.

Ma sœur ne cesse de me sermonner que j'ai fait tourner la tête de ce pauvre homme et que je suis aveugle de ne pas le remarquer. Et si elle se trompait? Imaginez ma honte si je venais à lui avouer les sentiments que je commence à éprouver et qu'ils ne sont pas partagés? Non, cela ne se peut !

Je me dois d'être un exemple pour mes cadettes. Une première leçon m'a suffit alors que j'avais cru un jeune homme lorsque je sortais à peine de l'enfance. Ses poèmes étaient beaux mais il n'est jamais revenu faire sa demande.

Mais maintenant je suis une adulte et je ne peux me permettre d'espérer. Du moins pas à haute voix. Je garde donc pour moi mes espoirs et mes désirs secrets. Certains seraient de toutes façons inavouables aux jeunes oreilles de mes sœurs et encore moins de notre mère.

Car ce que je n'ose avouer c'est que l'image de Charles, comme je l'appelle intérieurement, hante tous mes instants. À chaque chose que je fais ou je dis, je me demande ce qu'il en penserait et ce qu'il en dirait. Lorsque je m'apprête, c'est pour lui, même si je ne suis pas sensée le rencontrer. Je ressens comme un manque lorsque je ne le vois pas et j'ai l'impression de flotter lorsqu'il est près de moi.

Mais le plus étrange ce sont mes songes le soir venu. Dans notre lit, j'attends silencieusement chaque nuit qu'Elisabeth s'endorme paisiblement à mes côtés pour me laisser enfin vaquer à mes amoureuses rêveries.

J'imagine alors que nous sommes seuls, loin de tout chaperon dans une clairière, un pré fleuri, sur un joli banc... enfin selon mon humeur et mon imagination. Il me parle doucement, me complimente de sa voix suave. Nos mains viennent à se toucher, par accident. Ensuite il prend ma main non gantée tout entière, la caresse lentement sur le dos puis la paume. Ce simple geste provoque en moi des frissons bien agréables. Il pose un baiser sur ma main et me souris. Je me sens fondre comme la neige au printemps. Sa main remonte doucement sur mon bras alors que je dévore des yeux les siens. Je me mords les lèvres. Il s'approche lentement et je sens alors son souffle chaud dans mon cou. Il veut m'embrasser mais prend tout son temps. Cette douce torture éveille en moi un désir toujours nouveau. Enfin, nous nous embrassons et c'est très doux. Il glisse alors une de ses mains à ma taille alors que l'autre détache ma chevelure. Mes cheveux cascadent sur les épaules. Ses baisers se font passionnés et ses caresses également. Il m'allonge tout en douceur sur l'herbe fraîche, paille ou couverture selon le rêve ou l'instant. Il entreprend de délier mon décolleté ou parfois sa main se glisse sous mes jupons. Je sens ma respiration s'affoler. Je me laisse faire car tout ce qu'il me fait, je le souhaite ardemment même si j'en ignore la teneur exactement. Je m'entends soupirer et gémir et c'est à ce moment-là que je me réveille, haletante et en sueur.

La première fois, j'ai pensé que je faisais de la fièvre mais j'avais bien trop honte de mon rêve, de mes joues écarlates et d'une étrange moiteur pour réveiller ma sœur. Dorénavant, je garde pour moi mes pensées inconvenantes mais pourtant si délicieuses. Car même si Charles n'apprendra peut-être jamais ce que j'éprouve pour lui, chaque nuit, secrètement, il n'appartient rien qu'à moi.

Orgueil & TentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant