Nouvelles surprenantes

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Fitzwilliam

Nous voici à Rosings. Comme chaque année. Même si je préférerais être bien loin d'ici. Notre tante aurait pu au moins nous laisser le loisir de nous rafraîchir après ce trajet long et désagréable. Mais même pour cela, elle décide des priorités. Avoir ses neveux à ses côtés pour prendre le thé lui semblait plus important que le fait que nous soyons tous deux poussiéreux et exténués.

Nous nous sommes donc retrouvés attablés devant un service à thé de Chine dans ce salon sombre et encombré dont les murs recouverts de tableaux de scènes mystiques ont toujours eut le don de me couper l'appétit.

À mes côtés, était installée, comme à l'accoutumée, ma cousine Anne car sa chère mère a décrété un jour que nous étions fiancés. J'ai trouvé Anne légèrement changée, plus attentive et surtout un peu plus bavarde que d'ordinaire au point que Lady Catherine l'a qualifiée au final d'effrontée.

Je décidais de garder mes distances tant physiques que verbales afin de ne pas attiser les aspirations de ma tante. Je faisais ce que je peux faire de mieux dans un univers qui m'est hostile : me taire et essayer de me détacher de mon entourage et de ses hostilités.

Notre hôtesse palabrait de ses gens et des nouvelles du voisinage auxquelles je ne portais aucun intérêt. Mes pensées revenaient sans cesse à ce Mr Collins qui nous était apparu tel un polichinelle derrière son théâtre et avec lui, les souvenirs que je croyais avoir oubliés.

C'est alors que notre hôtesse se mit justement à me parler de son cher pasteur. Anne rappela à sa mère que je le connaissais déjà vu que je l'avais rencontré lors d'un bal. Comment le savait-elle? Et pendant que notre tante informait mon cousin que Collins avait séjourné effectivement dans le Herfordshire au même moment que moi, les réminiscences de cette soirée de Netherfield me revenaient de plein fouet. Une danse, une seule que j'ai partagée. Un regard perçant, une robe évanescente, des boucles brunes...

Pendant ce laps de temps où je me perdais dans mes pensées, Lady Catherine continuait de faire l'éloge du choix de Collins. C'est la voix fluette d'Anne à mes côtés qui me fit sursauter car elle venait de répliquer que c'était pourtant le second choix de Collins, le premier étant miss Elisabeth Bennet.

A cette remarque, je manquai de recracher mon thé de surprise sous le regard étonné des dames présentes et celui amusé de mon cousin. 

Qu'avait-elle dit? Miss Elisabeth ne serait donc pas l'épouse de ce Collins? J'essayai le plus discrètement possible de reprendre contenance et mes esprits et surtout de réaliser ce qui venait d'être dit. Pendant ce temps, mon cousin, plus qu'intrigué, interrogeait Anne pour en savoir davantage. Je le remerciais intérieurement, tout en sachant pertinemment qu'il ne manquera pas de me taquiner sur le sujet ultérieurement.

Lady Catherine, choquée, demanda à sa fille d'où elle tenait pareille information. Anne répondit, un peu gênée, que c'est Mrs Collins qui le lui avait confié et que Miss Elisabeth, elle-même, l'avait confirmé.
Je posai ma tasse assez bruyamment sur sa coupelle, interloqué, alors qu'Anne me jetait une œillade embarrassée. Comment pouvait-elle connaître Elisabeth?

Mon cousin, les yeux de plus en plus écarquillés face à mon comportement inhabituel, et visiblement très intéressé sur ce sujet, demanda aux dames qui était cette mystérieuse Miss Elisabeth dont il était question. On lui expliqua que le pasteur recevait actuellement des visiteurs à Hunsford : le père et la sœur de son épouse ainsi que son amie d'enfance et cousine de Mr Collins, Miss Elisabeth Bennet.

C'est alors que je me sentis pris de vertige. Je commençais à placer les pièces d'un puzzle dont j'ignorais jusqu'à présent l'existence. Une lueur inattendue se pointait insidieusement en moi. L'idée que j'aurais peut-être l'occasion de la revoir me faisait peur et m'enflammait à la fois.

Lady Catherine, elle, s'énervait de plus en plus, prenant pour une folle cette demoiselle qui avait eu l'audace de refuser un tel parti, un mariage si intéressant au vu de l'entail qui pesait sur sa famille.

De mon côté, je découvrais avec un ébahissement discret la situation et, au plus profond de mon être, n'admirai que davantage le fait que la demoiselle ait osé refuser malgré tout cette union, si indubitablement mal assortie. Elisabeth n'est pas le genre de personne qui suit aveuglément ce qu'on lui dicte. Elle a son propre avis.

Ma tante continuait sans cesse à critiquer cette cousine de Mr Collins qui avait osé le refuser et qui, après tous ces nombreux mois, n'était finalement même pas encore mariée !

Plus ces paroles se voulaient critiques plus je respirais en pensant notamment à Whickam. Elle n'aurait donc pas cédé finalement à ses avances?

Lady Catherine renchérissait en clamant qu'elle n'est même pas jolie. Ma cousine confirma alors de sa petite voix hésitante que j'étais du même avis. Elle ajouta que j'aurais trouvé cette demoiselle juste passable, mais qu'elle, Anne, la trouvait au contraire bien charmante.

Une quinte de toux soudaine me prit. J'étais en état de choc. Comment Anne pouvait-elle savoir... ? Elisabeth aurait-elle surpris ces paroles malheureuses que j'avais proféré un soir dans un élan d'agacement? Tout ce temps, elle le savait...

Je levais la tête, probablement rouge de honte et de gêne, alors que l'assemblée était toute attentive à ma santé. Confortablement installé dans un sofa, mon cousin semblait beaucoup s'amuser de ma pitoyable prestation.

Mon cousin s'occupa de me distraire dans la soirée autour d'une table de billard et un brandy afin, bien sûr, d'essayer de me tirer les vers du nez. En vain. Mais il me connaît trop bien pour deviner ce que je tente de lui cacher. Il a, au moins, réussi à m'empêcher de me rendre directement au presbytère après l'heure du thé, le moment n'étant plus approprié pour une visite surprise chez un pasteur et sa famille.

Je pressens déjà que la nuit risque d'être agitée, entre les souvenirs que j'essayais d'enterrer et la réapparition d'un dilemme que je croyais dissout.

Orgueil & TentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant