Orgueil & Tentations

Décevant séjour

Fitzwilliam

Mais qu'ai-je donc fait ? Pourquoi ai-je donc accepté de suivre Charles Bingley dans le fin fond du Hertfordshire alors que ma place en ce moment devrait être auprès de ma chère sœur ? J'espère qu'elle se porte bien, que ses nombreuses lettres enjouées reflètent la réalité et que Miss Annesly est digne de la confiance que nous lui faisons.

Je n'ai guère vu grandir Georgiana, à peine était-elle partie au pensionnat qu'elle en est revenue en véritable demoiselle, et cela s'est avéré encore plus indéniable depuis sa mésaventure à Ramsgate. Je me sens coupable de la laisser à nouveau sous la responsabilité d'une gouvernante alors que cela devrait être à moi, son frère unique et tuteur, de veiller à sa sécurité et son intégrité.

Mais ce fut elle la première à insister pour que j'honore les engagements que j'avais pris auprès de Charles. En effet, je lui avais promis, bien avant cela, de l'accompagner ici. Je n'avais officiellement aucune excuse de me désister, vu que l'affaire de Ramsgate n'était connue que de notre cercle très restreint. Ce que j'ignorais alors c'est que nous n'y allions pas seuls.

Lorsqu'elle fut informée que j'allais accompagner son frère à Netherfield, Miss Bingley eut soudain l'envie de quitter le grisant Londres pour venir se perdre dans la rase campagne. Et comme un malheur ne vient jamais seul, elle a amené dans son sillage sa sœur et son insipide époux, Mr Hurst.

Ce qui devait être au final un séjour entre deux bons amis visitant un potentiel futur domaine, et une retraite bien méritée après ces derniers mois difficiles, est devenu pour moi un véritable enfer !

À mon grand désarroi, Miss Bingley, avec l'appui et la connivence de sa sœur Louisa, cumule toujours autant les tentatives pour m'accoster et tenter en vain de me séduire par tous les moyens à sa disposition. Et la catherinette a, je dois bien l'avouer, une imagination et une ténacité sans borne. Elle excelle dans la flagornerie indigeste et l'ambition haut placée.

Certes, Caroline a un physique plaisant mais n'a ni grâce ni bon goût pour le mettre en valeur. Malgré son âge proche du mien, elle n'a jamais réussi à attirer de sérieux prétendants et cela ne me surprend guère. Elle se croit accomplie pour avoir fréquenté, il y a des années, une institution de grande renommée. Mais depuis qu'elle a demandé pour que nous soyons présentés, je n'ai vu d'elle qu'une jeune femme au caractère difficile, imbue d'elle-même, à la culture lacunaire et piètre lectrice. Elle n'aime ni la campagne, ni les voyages, exècre tout ce qui est en dessous de sa soit-disant condition et malmène le petit personnel. Le tout en étant persuadée que je défends ses convictions ! Pauvre sotte ! Si je n'avais pas cette grande affection pour son frère et mon éducation, je ne me serais jamais retenu de lui dire ses quatre vérités !

Et comme l'enfer est pavé de bonnes intentions, celles de mon ami furent, dès notre installation, de recevoir un à un chacun des voisins qui se présentaient à sa porte. Ma peine ne fut pas épargnée lorsqu'il accepta ensuite l'invitation à ce bal de Meryton. Je m'éloignais chaque jour un peu plus de l'idée que je me faisais d'un séjour reposant.

Je n'ai jamais eu grand interêt pour les bals. Ce ne sont pour moi que des lieux où tout le monde se rend pour se pavaner, montrer sa plus belle toilette, sa plus belle fille ou sa nouvelle conquête. Cela piaille tellement que personne ne prend le temps d'écouter réellement la musique et les boissons qu'on y sert sont rarement de qualité. Je ne peux pas dire que je déteste la danse mais c'est le fait de se mouvoir aux bras d'une partenaire devant des yeux curieux et inconnus qui me déplaît.

L'idée d'avoir quitté Londres pour me retrouver dans un bal de campagne où je ne connaîtrais pas âme qui vive m'a mis d'humeur maussade. J'aurai volontiers préféré m'en priver mais c'était risquer de vexer Charles, mon hôte, et ses nouveaux prétendus amis.

Nous entrâmes alors avec un certain retard dans la salle des fêtes où avait lieu ce bal. Il n'avait de bal que le nom car pour moi cela ressemblait plus à une kermesse ! La salle était bondée, surchauffée par le nombre imposant de fêtards. Cela sentait la sueur des danseurs et le mauvais parfum. Cela criait, chantait et dansait jusqu'à ce que l'on remarque notre arrivée. Voilà une entrée que j'aurai aimé plus discrète car toutes les têtes se sont retournées vers nous. Je sentais Caroline se tendre à mes côtés et cela devait être une des rares fois où je devais penser comme elle.

La soirée fut pour moi pénible. Un mal de tête m'a très vite étreint tant le petit orchestre jouait fort et faux. Les gens, pour la plupart très imbibés, parlaient beaucoup et se bousculaient sans aucune distinction. Je trouvais enfin un endroit tranquille, le plus loin possible du tumulte afin d'attendre patiemment que Charles se soit suffisamment sociabilisé.

Évidement, les éternels ragots vinrent jusqu'à mes oreilles quand à la valeur présumée de mes avoirs et la taille de mon domaine. Même en pleine campagne, ces commérages me poursuivent. Mais je fus vite surpris de remarquer que l'attention était exceptionnellement portée plutôt sur mon ami que sur ma personne. Voilà qui était nouveau. Charles, en effet, se mouvait avec entrain parmi les danseurs, riait de toutes ses dents et semblait tirer beaucoup de plaisir de la compagnie de certaines de ces dames. Une en particulier.

Sacré Charles qui a l'incroyable capacité de tomber amoureux comme d'autres tombent d'une chaise ! Et pour le coup, je dois avouer que celle avec qui il a partagé une partie de la soirée était assez jolie. Gare à vous Charles, de ne point encore écouter vos émotions plus que de raison ou cela fera à nouveau des cœurs brisés.

C'est dans cet état d'esprit que j'ai demeuré le restant de la fête, la tête perdue dans mes pensées, ne prêtant attention à personne d'autre que Charles tout en veillant à rester à une distance raisonnable de sa sœur.