Perfide benjamine

475 20 27
                                    

Lydia

Oh que la vie est devenue enfin palpitante depuis que la milice est arrivée !
Et les journées où l'on m'interdit d'aller à Meryton sont pour moi autant de gâchées. Heureusement que Mère partage mon point de vue et me soutient dans tout ce que je fais. Il est amusant de penser qu'elle était comme moi à son âge mais cela ne m'empêche pas de garder mes petits secrets.

Avant que la milice n'arrive, ce bourg a toujours été d'un ennui mortel. Peu de bal ou d'attractions. Je connais déjà tous les célibataires sur plusieurs miles à la ronde et je les ai vite trouvés lassants ou au faciès peu avantageux.

Il y avait bien cet homme qui était venu l'an dernier comme saisonnier durant les moissons. J'adorais regarder sa musculature et sa peau hâlée et transpirante. Et dans la grange j'ai adoré nos jeux jusqu'à ce que Lizzie vienne ruiner mes espoirs en venant me chercher à la ferme. Elle nous a donc interrompus avant que nous puissions achever ce que nous avions entrepris. De cela, personne ne le sait, car à l'interrogatoire de mon aînée j'avais prétexté essayé d'attraper un chaton qui s'était enfui. Quoiqu'il en soit il s'en est fallu de peu pour que je sois enfin plus expérimentée que toutes mes sœurs sur quelque chose.

Sous prétexte que je suis la plus jeune, Père ne cesse de prétendre que je suis sotte mais il ignore qui je suis vraiment. Il n'a d'yeux que pour Lizzie. Comme si passer sa vie la tête dans les bouquins et arpenter la campagne à longueur de journée ferait d'elle une fille plus intéressante !

Mère de son côté, même si elle me préfère, n'arrête pas de clamer que Jane est la plus jolie et qu'elle sera la première à trouver un mari. Je n'aime pas quand elle dit ça. Certes, Jane a des traits fins et de beaux cheveux blonds mais elle n'a pas mon charme, ni mes atours.

Cela fait depuis longtemps que je me suis jurée d'être la première qui serait mariée. Bon, maintenant il y a ce Mr Bingley qui tourne autour de notre aînée comme un fidèle toutou. Il est donc probable que je doive me contenter de la seconde place. Mais qu'importe, je ne suis pas jalouse. Je lui laisse volontiers son cher Charles ! Il me semble si niais et a si peu d'allure. Au moins, l'avoir pour frère aurait ses avantages vu qu'il a de l'argent, apprécie les bals et les grandes demeures. Il n'a pas hésité longtemps à ma proposition d'organiser son bal, ce qui montre qu'il a bon goût et est facile à persuader !

Je suis peut-être la cadette, je ne suis pas stupide. Mon expérience je la puise en observant celles de mes sœurs. Ou plutôt, en observant leurs erreurs.

Par exemple, Jane, elle a beau papillonner des cils et rougir bêtement ce n'est pas ainsi qu'elle s'attachera son cher Mr Bingley ! Un homme n'a que faire d'une mijaurée. Mère a été bien déçue de la voir revenir à Longbourn sans aucunes fiançailles en vue après avoir passé tant de jours chez le fameux célibataire. J'aurai été à la place de Jane, je lui aurais montré à cet homme ce que j'attendais de lui et n'aurais pas laissé passer l'occasion que Mère lui a offerte. Franchement ? Quelle gourde !

Lizzie n'est guère mieux. À force de plonger ses yeux dans des romans, elle pense que sa vie en est un. Ses idées romantiques la privent de tout amusement et amourette sous prétexte qu'elle ne peut épouser que l'homme idéal et dont son amour sera égal au sien ! Sornette que tout cela !Si elle passe sa vie à se croire supérieure et à critiquer son entourage ce n'est pas ainsi qu'elle trouvera un mari. Et si, en plus, elle ne se décide pas à passer du bon temps, elle finira en vieille fille aigrie.

Que dire de Mary ? Peu de choses aimables, je le crains. C'est la sœur avec laquelle j'ai le moins d'affinités et plus je l'ignore, mieux je me porte ! Elle est fatigante avec ses sermons et ses réprimandes. En fait, elle se comporte comme une adulte qu'elle n'est pas encore. Elle ne fait rien pour se rendre agréable ou jolie. Elle nous casse les oreilles à frapper sur ce vieux piano désaccordé et se croit de surcroît accomplie !

Un temps j'ai pensé qu'elle pourrait parfaitement convenir à ce Mr Collins, le cousin de Père, venu séjourner quelques temps chez nous. Mais même lui, un simple pasteur laid et ridicule, s'est lassé de ses discours et de son peu de charisme. Non vraiment, je ne fonde aucun espoir en la pauvre Mary.

Ensuite, il y a Kitty. Elle a beau être plus vieille que moi d'un peu plus d'un an, c'est comme si c'était ma petite sœur. Elle suit tout ce que je fais et veut faire de même, mais dans sa tête elle n'est pas encore prête. Là où moi je suis attirée par les hommes, elle préfère encore les rubans. Elle m'a récemment avoué que Mr Collins la mettait mal à l'aise. Les regards qu'il porterait sur elle l'intimident. Jamais un regard d'un homme sur moi ne m'a intimidée, que du contraire ! J'aime lorsqu'on me remarque et qu'on m'admire.

Mais cet aveu de Kitty m'a donné une idée qui pourrait contenter tout le monde. J'ai compris la raison pour laquelle Mr Collins est venu à Longbourn et pourquoi il était toujours prompt à jouer le rôle de chaperon. Mère serait ravie et soulagée de savoir qu'une de ses filles deviendrait la maîtresse de Longbourn au décès de Père. Ainsi, elle ne serait pas obligée de quitter sa maison. Comme Mary ne semble pas dans les bonnes grâce de ce Mr Collins, qu'il dégoûte Kitty et que Jane aurait un bien meilleur parti, il ne reste donc plus que Lizzie pour le satisfaire ! Car bien entendu, il est hors de question que ce petit monsieur me touche, alors que je pourrais avoir un Whickam dans mon lit !

Cette idée, je l'avoue, permettrait également à mon cher Whickam de détourner les yeux de Lizzie. Et je sais que mère ferait tout pour que cela se concrétise... si j'insiste un peu.

Ma décision prise, il ne restait qu'à convaincre le prétendant de son attirance pour la seconde de mes sœurs. Ainsi, un beau jour alors que nous nous dirigions vers Meryton, je pris le bras de cet énergumène qui sembla surpris et heureux de mon soudain intérêt pour lui. Nous discutâmes de choses et d'autres. Je lui parlais des officiers et du plaisir que j'avais à aller à leur rencontre. Il sembla désappointé. Il me demanda ce que je pensais du mariage, je lui ai répondu, l'air de rien, que j'étais encore bien trop jeune et que je préférais pour le moment m'amuser. Ce qui, en soi, n'était pas complètement un mensonge. Ma réponse ne sembla pas lui satisfaire et il essaya en vain de m'énumérer les désavantages d'une relation avec un militaire : une vie risquée et instable, une situation financière peu profitable...
Je pris sur moi de ne pas le contredire même si je mourrais d'envie de lui énumérer à mon tour tous ce que je trouvais d'agréable en la compagnie de ces messieurs qu'un pasteur tel que lui ne pourrait m'apporter. Mais dire tout cela n'aurait pas aidé pour l'élaboration de mon plan.

Dans la suite de la conversation, je lui glissais que de toute manière, s'il venait à un soupirant l'idée de demander ma main, je serais dans l'obligation de la lui refuser. Sa réaction ne se fit pas attendre et il voulut en connaître la raison. Je lui sortis alors ma tirade que j'avais préparé selon quoi notre père n'accepterait jamais que Kitty ou moi prenions époux avant nos sœurs aînées. La bienséance ne le tolèrerait pas. À son visage, je vis que cette idée ne lui plaisait guère mais que cela faisait sens. J'ajoutais donc en soupirant que le prétendant devrait donc attendre que mes quatre sœurs aînées soient mariées et que c'était la raison pour laquelle je me devais d'être patiente. La première phase de mon plan a fonctionné et allait donc rendre à Kitty sa naïve liberté.

Le soir venu, je me rapprochai à nouveau de lui et en vins à lui parler comme à un confident. Je lui demandai s'il n'avait pas remarqué les regards que lui jetait ma sœur Elisabeth. Je lui sous-entendais que Jane serait très prochainement mariée et que la suivante de disponible dans la fratrie serait donc Lizzie. Il tiqua et je dus insister.

Je comprenais sa réticence, s'il préfère une fille comme moi de se contenter de Lizzie. Je lui énumérai alors les soit-disant qualités de ma sœur que je supposais qu'un homme de sa condition apprécierait, telles que sa droiture, sa discrétion... À le voir la fixer en penchant la tête, je vis qu'il hésitait encore. J'ajoutai donc à voix basse que ma sœur était dotée des atours féminins qu'un mari rêverait d'avoir chez son épouse mais que la timidité de Lizzie empêchait de dévoiler à tout va. Ses yeux soudain assombris me confirmèrent que j'avais dit les mots qu'il voulait entendre. Un homme reste un homme, non ?

La seconde phase de mon plan avait marché ! Dans quelques jours il ferait assurément sa demande car l'homme est sans surprise. Et moi de mon côté j'aurais tout gagné, le départ bien loin d'une sœur qui passe son temps à me mettre des bâtons dans les roues en me privant de faire ce que bon me semble, la quiétude de ma mère quant à son avenir et surtout la joie de garder Whickam pour moi toute seule !

Orgueil & TentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant