Sens moral

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Hello à vous tous qui me lisez, merci de votre patience et de votre fidélité.
Comme promis, je n'ai pas abandonné cette histoire.  Je suis juste un peu surchargée. Merci pour votre compréhension et bonne lecture ! 😉

Miss Annesley

Voilà des années que je me consacre à ma profession avec dévouement et sérieux. Aussi, c'est avec une jolie liste de recommandations issues des familles les plus respectables de Londres que je me suis retrouvée, il y a un an déjà, devant l'intendant, la responsable du personnel et ensuite en face de Mr Darcy en personne.

Je dois dire que sa réputation était bien en deçà de l'homme qui me faisait face. Il m'avait de suite intimidé. Ses nombreuses questions, sa rigueur et son application à trouver la personne à laquelle il confierait les bons soins de miss Darcy étaient tout à son honneur. Jamais je n'avais vu un frère aussi impliqué au bien-être de sa jeune sœur. C'est donc avec une pointe de fierté que j'ai appris que j'avais été sélectionnée parmi de nombreuses autres aspirantes.

Je pris réellement conscience de la chance qui m'était donnée lorsqu'on me fit conduire à mes appartements. Jamais on ne m'avait attribué une telle chambre avec de surcroît un cabinet de toilette adjacent ! Et cela, tant dans la maison londonienne que dans le prestigieux château de Pemberley. Pemberley, ce domaine est si vaste qu'il m'a fallu des semaines pour arrêter de m'y perdre !

La demoiselle dont j'allais devoir m'occuper m'a été présentée tel un trésor qu'on écarte des yeux curieux afin de ne point risquer de le dérober. Je découvris alors une Miss Darcy renfermée sur elle-même et emplie de doutes.

Je pris connaissance à demi-mot de sa malencontreuse aventure et réalisais pourquoi son frère et tuteur avait mis tant d'assiduité à trouver une remplaçante à cette Mrs Young qui avait déshonoré, par ses méfaits, notre belle et respectable profession. Je me suis dès lors juré d'être à la hauteur de la tâche qui m'était confiée.

Il me fallut bien de la patience et de la persévérance pour arriver à apprivoiser cette magnifique petite demoiselle farouche et j'avoue que je peux m'enorgueillir des prouesses obtenues au fil des mois que nous avons passés toutes deux.

Talentueuse et assidue à ses études, elle l'est assurément. Belle et gracieuse de part sa nature et son sang. Chaque jour qu'elle déploie ses ailes et me laisse davantage montrer sa véritable nature, je devine en elle une jeune femme vive, intelligente et curieuse.

Miss Darcy ressemble si peu à toutes ces péronnelles, pimbêches et minaudières que j'ai pu accompagner, issues de familles aussi nobles soient-elles.  À l'aube de leurs dix-sept ans, ces sottes demoiselles ne pensent, vivent et respirent que dans l'expectative de la présentation à la Reine.

Consécration de plusieurs années de préparation, cet événement mondain est l'incontournable de la saison. Elle permet aux jeunes filles bien nées, et souvent bien dotées, de faire leurs débuts dans la société et de permettre aux familles titrées d'exhiber ainsi leur progéniture enrubannée dans le but ultime de consacrer un beau et surtout bon mariage.

Alors que toute miss de cet âge rêve d'enfin y rencontrer l'homme charmant qui fera chavirer son cœur, son père y voit l'intérêt politique et financier d'associer son nom avec un autre nom non moins respectable tout en évinçant d'un regard les chasseurs de dotes peu scrupuleux. Quant à sa mère, être aux côtés de sa fille ridiculement emplumée lors de la révérence royale comble sa propre fierté. La matrone met tant d'ardeur et de malice à mettre sa descendance en valeur afin que celle-ci puisse être remarquée par un homme plus titré qu'eux. Tout cela, évidemment dans l'unique but de se voir ouvrir les portes des salons très prisés et espérer un avenir plus glorieux.

La petite demoiselle Darcy est tellement loin de toutes ces préoccupations ! Elle ne connaît ni cette ferveur ni ces traditions. Cela a un côté rafraîchissant car il est bien plus facile de la chaperonner ! Pourtant, il faudra bien un jour qu'elle soit présentée.

Pour moi la tâche est plus facile cette année car je ne dois pas supporter mère et fille, leurs remarques puériles, ces essayages interminables, et ces répétitions ridicules. Et le lendemain, l'énumération en détail de la fête, de qui a salué et de ce que portaient l'une ou l'autre débutante selon leur degré d'amitié.

Ensuite arrivait l'attente de la carte déposée sur un plateau. Lorsqu'il y en avait beaucoup on se congratulait que la demoiselle a eu du succès et, lorsqu'il y en a guère, on se lamente avec excès. Et au final, quand les choses se sont passées comme il le fallait et que l'anneau au doigt est glissé, il venait le temps pour moi de faire ma valise et de partir sur la pointe des pieds.

Mais miss Darcy n'a rien de ces orgueilleuses. Certes, elle connaît son rang mais sait mesurer sa chance. Un simple présent la transporte de joie comme une enfant.  J'ai pu l'observer à maintes reprises, elle a dans le ton de sa voix aucune vantardise. Elle est même étonnamment proche de ses domestiques, connaissant leur nom et un mot pour chacun lorsqu'elle les croise au hasard des couloirs.

Plusieurs dimanches par mois, elle perpétue la tradition de sa mère, qu'elle n'a pourtant point connue, emportant avec elle quelques paniers à distribuer aux nécessiteux et indigents de la communauté.

Miss Darcy est bonne marcheuse et la suivre dans le parc est parfois pour mes jambes une sinécure. Mais la seule activité à laquelle je ne l'escorte pas est celle de l'équitation. Ma répulsion pour les canassons est sévère aussi je laisse au premier palefrenier la responsabilité de l'accompagner.

J'ai été fort surprise en arrivant dans une maison aussi prestigieuse de remarquer que chaque domestique puisse autant apprécier leurs maîtres. Il est bien rare, en effet, qu'aucun secret ne vienne entacher leurs réputations. Depuis, la cuisine, à la laverie, du fond des écuries aux métayers, que de nobles pensées !

Aussi fus-je étonnée de découvrir que Mr Darcy ne ressemblait pas au portait que les domestiques m'avaient dépeint. Toujours absent, de l'été jusqu'au printemps. Et lorsqu'il s'en est revenu de Netherfield ou de Rosings, c'est à chaque fois avec la mine austère et les traits altérés. Qu'advenait-il donc de l'homme fier et juste, proche de ses gens? Aux dires de ceux-ci cela n'était pas habituel et je percevais au son de leurs voix une pointe d'anxiété.

C'est donc avec un peu d'appréhension que je me décidais ce soir d'aller lui parler. Cela faisait trois jours qu'il était revenu de Rosings, encore plus maussade qu'à son départ. Mais ce que j'avais à lui avouer avait son importance et je ne pouvais décemment repousser davantage le sujet.

Il me fit entrer dans son bureau au son d'un grognement et je le trouvais avachi dans une bergère près de l'âtre, un verre vide à la main. Il ne prit pas la peine de lever un regard sur moi, aussi, je pris mon courage à deux mains sans trop songer à la réaction que je risquais de provoquer.

Je lui expliquais comment, un jour, en allant chercher le châle de Miss Darcy dans sa chambre j'étais tombée sur lui. Que son apparence était misérable et qu'il m'avait immédiatement scandalisé. Que, de suite, j'avais pensé à ce Mr Whickam dont on m'avait parlé et que ce dernier en était probablement à l'origine.

Au son du verre posé sur le guéridon, je compris que j'avais capté l'attention de Mr Darcy et je poursuivis. Je ne suis pas, à proprement parler, une érudite mais je pense être suffisamment accomplie pour comprendre les rudiments. J'exprimai ouvertement mon jugement, que je trouvais la chose inacceptable et précisais à mon maître que sa pupille ignorait mon incursion.

Les yeux rivés sur mes mains, Mr Darcy se leva avec lenteur et pour seule réponse me claqua : « Donnez-le moi ! ». J'ai obéi, bien trop heureuse de me libérer de ce qui m'encombrait depuis des jours mon âme et ma conscience : un carnet rouge tout abîmé dont le contenu n'a rien à faire dans la chambre d'une jeune fille !

Orgueil & TentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant