Orgueil & Tentations

La querelle

Colonel Fitzwilliam

Lorsque mon cousin m'envoya sa missive, je séjournais dans le Kent. Sa demande était si incongrue que ma curiosité m'amena jusqu'à Darcy House le jour même.

Je fus accueilli par le concierge qui me fit patienter dans le petit salon mal éclairé. Que faisait-il à Londres alors que je le croyais à Pemberley? Aucun domestique ne l'avait-il donc suivi? Pourquoi était-il revenu seul ici ?
Les questions dans ma tête se multipliaient.

Pourquoi avait-il besoin d'un poste dans l'armée? Assurément ce n'était pas pour lui. Non pas que je l'en juge incapable, il a bien assez de qualités de stratège et de discipline pour s'y plaire. Mais jamais je n'ai vu en lui la moindre vocation. A-t-il des ennuis ou est-ce pour un ami?

A son arrivée, il me sembla un peu agité. D'emblée, il me questionna sur les raisons de mon séjour à Rosings, s'étonnant que ce fut mon supérieur qui l'en informât. Afin d'éviter le sujet, je retournais habilement la conversation sur mes nombreuses interrogations.

Il s'assit, fatigué, dans un fauteuil, nous fit servir du thé, se frotta la nuque et commença à m'expliquer:

– Je recherche d'urgence un poste permanent dans l'armée, si possible dans un endroit bien reculé et demandant peu de compétence.
– Diantre Darcy ! Avez-vous des ennuis ?
– Ce n'est pas pour moi, voyons !
– Alors qui voulez-vous y envoyer?
– Tel que je vous connais, dois-je supposer que je n'aurai de répit que si je réponds à toutes vos questions ?
– Vous supposez parfaitement bien mon cher ! dis-je en souriant. N'auriez vous pas, cela dit, un breuvage un peu plus... corsé ? Il semblerait que vous ayez besoin de vous requinquer. 

Après avoir servi deux bons brandy, il prit une grande inspiration et me fixa comme s'il redoutait ma réaction :
– Whickam, c'est pour lui.
– Comment? Cette vermine ! Ce... Je me levais hors de moi. Et Georgiana ? Va-t-elle bien?
– Oui, n'ayez pas d'inquiétude. Elle va très bien. Elle n'est pas concernée. Puis il ajouta à voix plus basse en regardant le fond de son verre :
– Pas cette fois.
– Je suppose qu'il a recommencé et qu'il y a quelque part une nouvelle victime à déplorer?
Il opina du chef, l'air pensif.

– Mais pourquoi lui trouver un emploi? Continuais-je de réfléchir à haute voix. Pourquoi ne pas simplement le faire mettre sous les verrous ? Cet homme a à son actif bien assez de méfaits pour rester à l'ombre un bon bout de temps !
– La demoiselle en question à quitté le nid bien trop longtemps pour préserver sa réputation et celle de sa famille, soupira t'il.
– Et vous souhaitez donc qu'il l'épouse? Je suppose que ce n'est pas à son goût.
– Je ne lui laisse pas le choix !
– En quoi tout ceci vous concerne ? Connaissez-vous personnellement la demoiselle ? tentais-je.

Il fit une grimace que je ne pus interpréter et cela aiguisa davantage ma curiosité. Puisqu'il ne pipait mot, je continuais mon interrogatoire.

– La demoiselle aurait-t-elle pour vous... quelque attrait?
– Pas le moins du monde, s'exclama t'il quelque peu énervé. Elle est sotte, bien trop gâtée, sans éducation aucune. Elle n'a de cesse de faire qu'à sa tête et tourner autour des garçons !
Il sembla aussitôt regretter ses propres mots et bu son verre cul sec.

– Comprenez-moi, Darcy, pour accéder à votre requête, il me faut en savoir plus ! Je ne peux faire valoir votre demande saugrenue auprès de mes supérieurs sans avoir plus de détails et des arguments solides.
– Je paierai le prix qu'il faudra.
– L'argent ne résout pas tout ! Nous connaissons tous deux cet énergumène. Sérieusement ? Vous le voyez officier, avec son pedigree et son actif ?

Il soupira. Un silence se fit durant lequel je supposais qu'il se battait intérieurement.
– Je vous demanderais la plus grande discrétion.
– Pour sûr !
– Miss Bennet. Miss Lydia Bennet.