Amour paternel

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Mr Bennet

Ma chère Lizzie est venue une fois de plus se réfugier dans mon antre aujourd'hui afin, je présume, de s'échapper davantage de la cacophonie ambiante que pour mon trait d'esprit. Je ne m'en offusque pas, elle me ressemble trop.

Que j'étais ravi de la retrouver après ces longues semaines si éloignée ! La maison sans elle me semblait bien morose. Et pourtant elle est revenue bien plus calme et plus silencieuse que jamais. Non que je m'en plaigne mais plutôt que je m'en soucie.

Nous avions déjà Jane qui, depuis l'été a perdu toute vitalité. Voilà à présent une seconde toute aussi réservée. Et Dieu sait combien cela n'est point dans sa nature ! Mes questions sans réponses sont restées, je cesse donc d'insister et de l'importuner.

Cela démontre une fois de plus combien un mauvais père je fais. Il n'est point nécessaire que mon épouse me le rabâche sans arrêt pour que j'en sois conscient. Mais que puis-je y faire à présent?

Ma vie ne s'est point déroulée comme je l'avais espéré. Moi qui appréciais le célibat comme un dogme et l'instruction comme une religion. Je me suis retrouvé propriétaire, mari et père sans rien avoir demandé.

Tout cela est venu de ce satané parent qui m'a fait hériter de ce domaine en mourant. Quelle saugrenue idée que de m'imaginer gentleman farmer, moi qui aspirait à une vie de tranquillité !

Mais la vie est ainsi faite et la propriété bien trop vaste pour arriver à la gérer. Il me fallait donc trouver une épouse qui ait les épaules assez larges et le caractère affirmé pour s'en charger. Qu'elle soit capable d'enfanter était un plus non négligeable, et l'arrivée rapide un garçon m'aurait été profitable et  me semblait être la seule solution.

Miss Gardinier était mignonne et j'étais pressé. La nature a fait le reste et je n'ai rien pu contrôler. À présent, ce lieu est régenté par une matrone et cinq demoiselles prêtes à marier. Comment vais-je donc à présent les doter? Il vaut mieux pour nous que ce ne soit pas toutes en même temps. Il me faudrait alors que me défasse de quelques terres ou quelques ouvrages importants. Ce dont je ne suis pas pressé.

L'idéal serait que l'une d'entre elles fasse un très bon mariage et mette d'emblée ses sœurs et sa mère hors de tout ombrage. C'est ce que nous espérions tous avec ce Bingley mais le nigaud a pris la poudre d'escampette sans rien demander!

Il y avait aussi ce Whickam, que plusieurs semblaient apprécier, mais la solde d'un soldat pourrait difficilement subvenir aux besoins de l'ensemble de la maisonnée. Un moment, Lizzie ne semblait pas indifférente à sa personnalité. Mais dans mon coin je maugréais.

Je dois avouer que je ne suis point prêt à la marier. Cela n'est guère charitable et équitable, je le concède. J'ignore pourquoi, je ressens depuis toujours pour Elisabeth une telle tendresse et complicité. Aussi celui qui viendra me la dérober devra faire preuve de bien du courage et avoirs d'innombrables qualités ! Il me faudra avoir la certitude qu'il puisse la respecter et l'aimer à égale mesure que je le fais.

J'ai un court instant crains qu'elle ne regrette d'avoir refusé Collins et que son séjour chez lui ne fasse ressurgir quelque regret. Mais elle m'a assuré qu'il n'en est rien, que mon cousin reste pareil à lui-même, stupide, flatteur et jacassier. Que son amie Charlotte est heureuse et bien installée et qu'elle mène la vie qu'elle avait toujours rêvé.

Me sentant incompétent à redonner le sourire à ma fille préférée, j'ai pris la plume pour écrire aux Gardinier. Eux seuls la connaissent comme moi-même et pourront, je l'espère, lui ôter toute sa morosité.

Orgueil & TentationsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant