Lizzie
Des semaines que je suis rentrée à la maison et pas un jour sans que le contenu d'une certaine lettre ne vienne me hanter. Des simples mots écrits avec empressement, cette écriture masculine et régulière qui dépeint un certain agacement et un besoin urgent de rétablir l'honneur de son auteur, mais aussi le visage fermé de cet homme qui me la tendait.
Bien sûr, il me fallut du temps pour les comprendre mais maintenant, ces phrases, je les connais par cœur.Tout le long du trajet du retour vers ma région natale, je ne cessais de me convaincre que j'avais agi comme il se devait. Mais dès que j'ai franchi les marches de l'entrée de la maison familiale, l'évidence me sauta au nez.
Je découvris alors ce que d'autres avaient dû voir, que ce soit lors de ce bal de Netherfield ou dans bien d'autres circonstances : Tout d'abord ma mère, cette femme qui nous a mis au monde et élevées, qui, dès mon arrivée, se mit à parler fort et de travers, clamant sans aucune distinction des faits qui n'étaient en rien fondés.
La cadette de mes sœurs, la plus téméraire, faisait caprice et minauderies ridicules pour obtenir ce qu'elle voulait. Je la vois encore, le soir du bal, la plus jeune de toute l'assemblée, entraînant Kitty dans son sillage, se servant allègrement de punch et flirtant ouvertement avec tous ceux qui portaient un uniforme.
Mon père, que j'aime tant, n'était pas en reste. Sans aucune délicatesse ni manière, il avait délogé Mary du piano qu'elle s'était approprié une partie de la soirée. Mary avec ses lamentations et ses réprimandes incessantes, je remarque à présent sa vanité de se croire supérieure tant par sa morale que par ses soit-disant talents au piano et au chant.
Même Jane, ma douce Jane, au teint pâle et aux traits fins, je réalise dorénavant combien sa discrétion et sa timidité peut jouer en sa défaveur. Je songe à présent aux recommandations qu'avait alors faites ma fidèle Charlotte à son propos. Je comprends que là où il n'y avait que pudeur de ses sentiments sincères, Mr Darcy ait pu n'y déceler qu'intérêt poli. Comme j'ai pu être aveugle!
Tout ce brouhaha familial m'encombre l'esprit. Il n'est guère charitable de parler ainsi de mes proches qui m'avaient pourtant manqués mais la vie dans le Kent avait été plus reposante à bien des égards... J'en reviens pourtant l'esprit peu reposé.
Mon père a décelé en moi une certaine préoccupation et a cherché à sa manière d'en connaître la raison. Il m'a taquinée à plusieurs reprises sur Mr Collins et si je ressentais le regret de l'avoir refusé. Puis s'est interrogé sur l'installation de Charlotte et sur cette Lady dont il avait tant entendu parler lors du séjour de notre cousin, l'été dernier. Toutes ses gentilles attentions ne firent que ramener mon esprit sur ce que je tentais d'oublier.
Mais comment puis-je oublier ce que j'ai fait, ce que j'ai dit, alors que les remords encombrent mon esprit ?
Comment puis-je encore avoir de la compassion et de l'amitié pour un George Whickam après tout ce que j'ai appris sur lui? Et ma sotte de Lydia qui se réjouit que cet homme n'ait point épousé Miss King comme annoncé ! Heureusement que le régiment a quitté la région, aussi n'ai-je pas besoin d'informer de ses méfaits et risquer de ternir la réputation d'une certaine miss Darcy.
J'essaie de m'occuper les mains et mes pensées, mais en vain. Tout ce que je pensais connaître me semble à présent incertain. Car si j'ai pu me leurrer ainsi sur les autres et sur moi-même, je m'interroge sur ce que j'ai pu aussi mal interpréter. Charlotte fut la seule clairvoyante.
Par deux fois, elle m'avait mise en garde des attentions que me prêtaient deux hommes. Par deux fois je lui ai ri au nez. Pauvre de moi, quelle piètre amie je fais!
Si je n'éprouve aucun remord d'avoir refusé Collins, je ne ressens plus la même assurance quant à la proposition de Mr Darcy.
Après la déclaration de ce dernier... et quelle déclaration ! Mon esprit était déjà bien embrouillé.Certes, il n'avait pas choisi les bons mots et son ton solennel et rigide ne reflétait pas ses émotions. Mais j'ai, depuis, pris conscience de mon manque de discernement. Mon stupide entêtement et mon orgueil blessé avaient fait de lui ma cible et m'avaient ôté toute objectivité. Ma surprise de me voir ainsi estimée de lui fut à la hauteur de la sienne de se voir refusé.
Maintenant que je sais ce qu'il ressentait, je me rends compte au combien ma perception était tronquée. Tous ces regards qu'il me jetait n'étaient donc point de l'hostilité. Chaque geste et chaque mot que nous nous sommes échangés me reviennent en mémoire et prennent à présent un tout autre sens.
De ses compliments cachés lorsqu'il déclarait qu'une jeune femme à la lecture variée était signe de son accomplissement. De sa mise en garde contre Whickam lors de notre danse mémorable que je n'ai pas osé lui refusé. De son empressement à me secourir lors de ma chute de cheval, de son cheval. Hermès, Magnifique bête très bien dressée. De ce carnet rouge avec lequel je me suis amusée de lui mais qui m'avait fort troublé. De ses nombreuses visites au presbytère et de nos rencontres que je pensais fortuites lors de mes promenade en solitaire. Tout cela révélait finalement son estime et, selon ses propres mots, de l'ardeur de ses sentiments.
Comment ai-je pu ne pas m'en apercevoir ? Comment ai-je pu me tromper à ce point? Comment ai-je pu le rabrouer aussi peu élégamment alors qu'il m'avouait son amour aussi violemment ?
Moi qui m'étais toujours jurée de ne concevoir le mariage que s'il est le fruit d'une passion et d'un amour sincère, j'ai repoussé un homme qui m'avouait m'aimer malgré notre différence de condition. Cet homme, et non des moindres, était donc prêt à faire fi des réactions de sa famille et de son entourage pour être à mes côtés toute sa vie durant!
S'il était repoussant, sans situation et sans éducation, j'aurai pu me pardonner mon objection mais ce que j'avais contre lui n'était fondé sur rien de concret, seulement des médisances, des reproches infondés venant d'un homme ingrat et jaloux.
Me voilà donc contrainte de vivre le reste de ma vie avec des regrets. Le regret de n'avoir rien compris, de n'avoir pas su écouter une amie et d'avoir trop écouté un autre qui n'en était pas un. Le regret d'avoir basé mon raisonnement sur des préjugés, d'avoir trop écouté mon orgueil et n'avoir pas su étouffer ma vexation.
Et cela n'est pas tout. J'ai diffamé un homme bon et honnête. Je l'ai injustement outragé et blessé. Je l'ai vu à ses yeux alors qu'il me tendait sa lettre. Il s'est senti obligé de devoir se justifier de mes accusations et me confier un secret que jamais je n'aurai dû connaître.
Mon cœur est lourd et gros. Je réfrène mes larmes lorsque je ne suis pas seule car je ne peux confier à quiconque mon fardeau. Ceci sera ma croix à porter de m'être trop écoutée.
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Orgueil & Tentations
FanfictionCeci est une fanfiction que j'ai voulu particulière. Elle retrace les réflexions les plus intimes des personnages bien connus d'Orgueil et Préjugés tout en veillant à garder leurs caractères et le contexte de l'histoire originelle. Attention aux pr...