Chapitre 1

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Assis sur le rebord de la falaise, les jambes pendantes dans le vide vertigineux, Axel appuya le menton sur ses mains. Il n'avait pas peur de tomber. Dans son dos, ses ailes s'étalaient sur le sol pauvre, où quelques touffes d'herbes trouvaient leur chemin au milieu des graviers. Parfois, les rafales de vent s'enroulaient autour des rares buissons, gonflant ses plumes. Ses ailes formaient un rempart contre cet air glacé qui cherchait à s'insinuer sous le col de son uniforme noir ; et si d'aventure une bourrasque le propulsait dans le vide, la hauteur était suffisante pour qu'il prenne son envol. Aucun Massilien ne craignait de se promener en bord de falaise, une attitude qui mettait la plupart des terrestres mal à l'aise.

Si Axel avait choisi ce coin reculé des Monts Brumeux, c'était pour être certain que nul ne viendrait le déranger ici.

Son regard s'égara sur le brouillard en contrebas, qui masquait jusqu'à la cime des arbres. Seuls les plus hauts, des épicéas géants s'il ne se trompait pas, parvenaient à percer le blanc cotonneux. À l'est, le soleil s'élevait doucement. D'ici quelques heures, ses rayons réchaufferaient suffisamment les lieux pour que le brouillard disparaisse. Il se murmurait que le cœur de la forêt de Farion restait froid et obscur même au plus fort de l'été.

Les graviers crissèrent dans son dos, l'avertissant que quelqu'un approchait. Axel ne se retourna pas. Il avait déjà exprimé son désir de ne pas avoir de compagnie, et aucun terrestre n'aurait pu le rejoindre.

Le nouveau venu s'installa à ses côtés ; la roche s'effrita, et quelques cailloux rebondirent sur les aspérités de la paroi avant de rouler dans le vide.

— Tu n'as pas à t'en vouloir, Axel.

Le jeune ailé se contenta de soupirer, sans détacher son regard de l'horizon. L'air s'était suffisamment réchauffé pour que les premiers oiseaux prennent leur envol.

— Personne ne pouvait prévoir ce qui allait se passer.

— Ce sont mes parents qui t'envoient ?

Le Messager esquissa un sourire. Ce n'était pas la question à laquelle il s'attendait, mais, c'était un début. Si Axel se montrait ouvert au dialogue, il avait une chance.

— Tes parents sont inquiets, oui, mais ils ne m'ont pas demandé de venir. Comment vas-tu ?

Axel soupira de nouveau, ramena ses pieds sur la bordure, enserra ses jambes de ses bras. Il y avait des moments où il détestait l'incapacité des ailés à mentir. Il observa son mentor à la dérobée, se sentit coupable du bras qu'il portait en écharpe. Si seulement il avait pu... la scène défilait en boucle dans son esprit depuis la catastrophe. Pourquoi tout avait si mal tourné ?

— Je n'ai pas envie d'en parler.

Tout avait bien commencé, pourtant. Lorsqu'un incendie s'était déclaré près du village de Bénys, sur Massilia, ils avaient été appelés pour aider à éteindre les flammes, puisqu'ils se trouvaient à proximité. Axel était un atout précieux ; sa maitrise du Feu, qu'il avait héritée de sa mère, lui permettrait de contrôler les flammes. Ce n'était pas la première fois qu'il était confronté à un incendie.

Mais c'était la première fois qu'il était confronté à un incendie d'une telle ampleur. Les forêts de conifères étaient omniprésentes sur la neuvième planète. Les sapins brûlaient comme des torches, la chaleur était perceptible à des dizaines de mètres et une épaisse fumée noire barrait l'horizon. L'air était suffocant, presque irrespirable. Des dizaines d'animaux fuyaient les flammes, et les habitants rassemblaient leurs possessions les plus précieuses en prévision d'une évacuation.

L'arrivée du Messager Itzal et de son Envoyé Axel avait été vue comme une bénédiction. Axel se souvenait des sourires rassurés qu'avaient affichés les Massiliens. Lui-même s'était senti confiant. Il s'était posté près de la longue chaine de seaux formée par les habitants, qui luttaient avec leurs moyens. La rivière Thinis n'était pas si loin, même si sa faible largeur l'empêchait d'être un coupe-feu efficace.

Les Vents du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant