Chapitre 24

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Nicoleï ouvrit les yeux. Le moindre de ses muscles était douloureux ; des courbatures lancinantes parcouraient son corps. Il se sentait lessivé, comme s'il avait couru des heures, et volé à travers une tempête. Ses plumes étaient ébouriffées : voler ainsi serait possible, mais lui couterait bien plus d'énergie.

Plus grave, il n'avait aucun souvenir des dernières heures.

Surtout, il était seul.

Nicoleï frissonna. Son estomac gargouilla. Il était seul, il avait faim, il avait froid.

Il ne savait même pas où il se trouvait.

La nuit était tombée, même si une lueur diffuse lui permettait de distinguer les contours. Il était tout près d'une masse sombre, qui s'agitait dans le vent. Une forêt. La forêt des Cargues, même, d'ailleurs. Ça, il s'en souvenait.

Nicoleï se releva, brossa son uniforme. À quelques pas, il discerna son sac, soupira de soulagement. À l'intérieur, il trouva une barre de céréales, l'engloutit avec plaisir. Quelques fruits secs complétèrent ce maigre repas ; déjà il se sentait mieux.

Par contre, aucun signe des deux Messagers, ni du Veilleur.

C'était bien sa veine.

Nicoleï hésita sur la décision à prendre. Chercher les autres, de nuit... inconcevable. Autant trouver un abri pour la nuit et réfléchir. Et pour ça, un arbre serait bien plus sécurisant que le sol. Nicoleï s'installa au creux de la fourche d'un chêne, ferma les yeux et essaya de dormir.

Étrangement, il y arriva bien plus facilement qu'il ne le croyait.

*****

Trois silhouettes ailées survolaient la canopée. Le soleil était levé depuis peu ; ils profitaient de chaque minute depuis leur réveil inquiétant, où ils s'étaient retrouvé isolés les uns des autres. Grâce à leurs Compagnons et à leur communication par le Wild, ils avaient pu se retrouver rapidement.

Un soulagement provisoire, qui avait soulevé une autre inquiétude : où était Nicoleï ?

Le Messager Ishim se rongeait les sangs. La sécurité de son Envoyé était sa responsabilité et sa priorité. Pas pour la première fois, il se demanda s'il avait eu raison de le confier à Maitre Kenog. L'artisan lui avait pourtant été chaudement recommandé de par la finesse de la maitrise de son Don du Vent, sa pédagogie. Hélas, l'homme était Niléen, et il regrettait maintenant d'avoir fait confiance. Après la disparition inexpliquée d'Axel, de Maitre Kenog, Nicoleï s'était retrouvé seul, perdu. Il n'avait qu'une seule des Trois Barrettes des Envoyés ; bien trop jeune, à seize ans à peine, pour rester livré à lui-même.

Nous le retrouverons, transmit Otal.

La prévenance de son Compagnon le toucha ; Ishim reporta son attention sur la forêt des Cargues. Il volait plus haut cette fois, méfiant. Quand ils avaient survolé cette clairière, la veille, quand ils avaient cru apercevoir Axel, un étrange maléfice les avait frappés. Désorientés, ils avaient été séparés, soumis à des visions étranges. Leurs Compagnons avaient été épargnés, mais n'avaient pas réussi à communiquer avec leurs Liés ; ils en avaient conçu une vive inquiétude et se montraient d'autant plus protecteurs.

Itzal a trouvé quelque chose, dit Otal.

Son corps ? s'inquiéta aussitôt Ishim.

Je te l'aurais dit. Des plumes, et des affaires. Il ne doit pas être bien loin. Ah, ils l'ont trouvé.

Ishim fonça dans la direction transmise par son Compagnon, bien loin d'afficher la sérénité requise de son grade de Messager.

Il va bien, ajouta Otal.

Malgré les propos rassurants de son Compagnon, Ishim ne serait vraiment rassuré que lorsqu'il verrait Nicoleï de ses yeux.

Quelques minutes plus tard, il atterrit enfin. Un peu sonné par ce réveil en grande pompe, Nicoleï clignait des yeux, hésitant, dévisageant le Veilleur, le Messager Itzal, et posant enfin son regard sur Ishim.

Son regard s'illumina et Ishim eut une bouffée de fierté et soulagement mêlés. Enfin ! En trois pas il combla la distance qui les séparait et enlaça son Envoyé. Soulagé, le jeune ailé resserra son étreinte sur son mentor.

— J'ai eu si peur ! avoua-t-il d'une voix étranglée.

— Tout va bien, le rassura Ishim.

Enfin, ils se séparèrent. Retrouvant un peu de ses réflexes, Nicoleï salua Lucas et Itzal. Le Messager était entouré par trois félins ; les deux autres continuaient de fouiller la forêt à la rechercher d'Axel.

— Vous avez retrouvé Axel ? questionna Nicoleï.

— Pas encore, répondit Lucas en se rembrunissant. Cette... mésaventure nous a retardés.

— Je suis désolé, bafouilla Nicoleï.

— Je ne parlais pas de l'effort de te retrouver, précisa le Veilleur. C'était nécessaire. Nous nous sommes retrouvés plus vite parce que nous sommes Liés. Et avec tous nos Compagnons, te trouver fut rapide. Non, je parlais de cette clairière que nous avons survolée, et qui nous a séparés.

— Une malédiction ? s'enquit Ishim.

Lucas pinça les lèvres. Un pli barrait son front ; de façon inhabituelle, il était soucieux.

— Je n'irai pas jusqu'à parler de malédiction. Quelque chose, en tout cas. Et je n'aime pas ça.

Itzal et Ishim approuvèrent. Eux aussi étaient préoccupés, maintenant que Nicoleï y prêtait attention. Il frissonna. Quand ils l'avaient réveillé, Nicoleï avait cru à un rêve. L'apparition d'Ishim avait été un soulagement, et son contact une réalité. Maintenant, si même eux étaient soucieux... pourraient-ils retrouver Axel un jour ? Allaient-ils abandonner ?

La forêt brûle, signala Otal.

Le Messager Ishim fronça les sourcils, reporta son attention vers les hauteurs. Une mince de colonne de fumée était visible, et apparemment, Lucas et Itzal avaient eu la même information.

— Allons jeter un œil, proposa Itzal.

Garde un œil sur Nicoleï, indiqua Ishim. Si nous sommes séparés, reste avec lui. Ce sera plus facile de le retrouver, ainsi.

Tu sais qu'il est parfaitement capable de prendre soin de lui ? répondit Otal, amusé. Mais si cela peut te rassurer... je le couvrirai.

Merci. Je lui fais confiance, mais il reste jeune, et ça commence à faire beaucoup.

Je me fie à ton jugement.

Dès qu'ils furent dans les airs, la fumée devint visible. Et très vite, ils comprirent qu'ils n'avaient pas affaire à un simple feu de camp. Un véritable brasier dévorait une enclave presque circulaire.

Ils passèrent en vol stationnaire, en restant à bonne distance, perpendiculairement aux vents. Le panache était suffisamment épais pour les prendre au piège s'ils s'y aventuraient ; sans visibilité, et avec la toxicité, c'était un suicide assuré.

Inquiet, Itzal prit la parole :

— J'ai peur que ce feu ne soit pas d'origine naturelle...

Lucas acquiesça.

— Sa forme est bien trop géométrique. Il est contrôlé.

Il n'ajouta pas ce que tous savaient ; les possesseurs du Don du Feu étaient rares sur Niléa, et la présence d'Axel se transformait en certitude.

Préoccupé, Nicoleï se demandait pourquoi ils n'agissaient pas, s'ils pensaient connaitre le responsable. Puis il réalisa qu'il n'avait nulle envie de connaitre la réponse, lui aussi. Son sang se glaça. Axel ne pouvait pas consciemment brûler une forêt, n'est-ce pas ?

— Il faut y aller, dit enfin Lucas, cristallisant les pensées de tous. Eraïm nous préserve de découvrir un désastre.

Les Vents du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant