Chapitre 82

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Nicoleï détestait la pluie. Dans sa ville natale, Spinelle, le climat était sec, les sècheresses fréquentes. Impossible de cultiver quoi que ce soit dans les steppes montagneuses.

Depuis qu'il était Envoyé, il avait parcouru presque toutes les régions massiliennes, sans compter les quelques missions sur le sol des autres planètes de la Fédération. Il ne les avait pas encore toutes visitées mais il le ferait certainement avant de devenir Messager.

De tous les climats qu'il avait traversés, la pluie était le pire. Ça mouillait, ça détrempait les vêtements – même les trucs soi-disant imperméables – ça alourdissait les ailes, ça rendait le vol pénible et difficile... sans compter que les gouttes froides trouvaient toujours un interstice dans lequel s'infiltrer.

Et voilà qu'il devait gérer ça en plus des quatre oisillons qui se serraient contre lui. Ils grondaient doucement pour le moment, comme pour répondre aux coups de tonnerre ponctués d'éclairs qui résonnaient dans le village.

Étaient-ils liés à l'orage ? Était-ce leur excitation qui l'avait créé ? Nicoleï ne savait quoi en penser. Il n'avait jamais entendu parler des oiseaux-tempête avant ce jour, supposait qu'il s'agissait d'une espèce rare, méconnue, un peu comme le serpent des Vents d'Axel. Quelle était l'étendue exacte de leurs pouvoirs, il n'en avait aucune idée.

Nicoleï s'ébroua. La mine. C'était là qu'il devait retourner au lieu de se poser des questions inutiles. Si seulement il se souvenait du chemin... Avec un soupir, il se redressa, vérifia les alentours. Personne en vue. Il avança de quelques pas, soulagé de constater que les oisillons le suivaient. C'était toujours celle au plumage paré de reflets bleutés qui était la plus proche de lui, c'était aussi celle dont il trouvait le regard empli d'intelligence.

Scritch. Scritch.

Nicoleï ne put s'empêcher de sourire. D'accord, il était trempé, frigorifié, perdu, mais il n'était pas seul et c'était juste réconfortant. Il termina de contourner le bâtiment où il avait récupéré les oisillons. S'il ne se trompait pas... oui, là, c'était certainement le chemin qu'il avait suivi. Facile, parce qu'il n'y en avait pas d'autre. Il s'y engagea, courbé sous l'averse, les petits trottinant à sa suite.

Ce ne fut qu'en arrivant au mur d'enceinte qu'il pila net. Des rondins, bien serrés les uns contre les autres, qui formaient une palissade infranchissable, tout en se confondant avec les arbres de la forêt. Il aurait voulu se taper la tête contre un mur. Quel imbécile ! Il était venu en volant, au ras de la cime des arbres.

Les petits se pressaient contre lui, se frottant à ses mollets comme pour lui demander pourquoi il s'arrêtait maintenant. Nicoleï s'accroupit, osa effleurer leurs têtes du bout des doigts. Savaient-ils voler ? Ce n'étaient encore que des bébés, même s'ils avaient pas mal de plumes. Et les conditions n'étaient guère adéquates, avec ce déluge qui tombait du ciel. Même lui aurait des difficultés à s'envoler avec son plumage détrempé. Ou alors...

Il ouvrit les bras, amorça un mouvement avant de s'interrompre.

— Je vais vous aider à passer de l'autre côté de cette barrière, d'accord ?

Pas de réponse, évidemment, mais il lui parut que leur grondement s'intensifiait, ce qui devait sûrement signifier qu'ils étaient d'accord.

À peine s'était-il baissé pour attraper Plumes Bleutés que les trois autres grimpaient sur son dos et ses épaules, lui ébouriffant les plumes au passage.

— Ce que vous êtes lourds, marmonna Nicoleï en luttant pour se relever.

Un seul ça allait, mais les quatre ! il n'avait pas prévu qu'ils s'accrocheraient ainsi à lui. L'un des oisillons glissa en piaillant et Nicoleï le rattrapa de justesse de son bras libre avant de le repositionner sur son épaule.

— Doucement !

La pluie rendait tout glissant ; Nicoleï se tendit vers les piquets taillés en pointe, Plume Bleutées en équilibre précaire au bout de ses bras et réussit à la faire passer de l'autre côté de la palissade. Elle battit vainement des ailes en piaillant de plus belle pour atterrir dans une flaque d'eau et Nicoleï ne put s'empêcher d'éclater de rire entre deux coups de tonnerre. Les autres se bousculaient sur ses épaules, maintenant, et il ôta celui qui lui griffait le cuir chevelu.

— Tu me fais mal ! Attention avec vos serres, ça pique !

Il l'envoya rapidement rejoindre sa sœur – tiens, comment savait-il qu'il tenait un oisillon mâle et que Plumes Bleutées était une fille ? – fit suivre Plumes Grises et Plumes Violettes.

Il n'y avait plus qu'à les rejoindre de l'autre côté.

Nicoleï réprima un frisson et bondit pour s'accrocher aux pointes. C'était haut, ses ailes étaient lourdes, gorgées d'eau ; il lui fallut deux essais pour attraper une prise solide, puis il se hissa à la force des bras, cala son pieds entre deux pointes, se laissa enfin tomber à l'extérieur.

Il avait réussi.

Les quatre oisillons étaient toujours là, s'ébattant gaiement au milieu des flaques d'eau et des feuilles mortes. Nicoleï soupira en s'ébrouant. En pure perte, vu les trombes d'eau qui tombaient, mais ses ailes lui parurent un peu plus légères. Les oisillons semblaient eux se réjouir de toute cette eau, ce qui était plutôt logique s'ils étaient liés aux tempêtes.

Nicoleï releva une aile au-dessus de sa tête, s'essuya le visage de ses doigts glacés, puis rassembla de nouveau les petits.

— En avant, nous avons une longue route devant nous.

Ils pataugeaient dans l'humus détrempé, s'éclaboussaient en grondouillant, sautillaient à sa suite en s'aidant de leurs ailes pour garder leur équilibre. Ils étaient adorables, c'était réconfortant. Car il aurait bien aimé que la pluie cesse. D'accord, le rideau pluvieux les dissimulait aux yeux de leurs potentiels poursuivants – car les deux hommes qu'il avait ligotés avaient forcément été découverts, non ? – sauf qu'il était trempé, glacé et commençait à claquer des dents. Il lui fallait trouver un abri. La mine en était un, encore bien trop lointaine. Nicoleï accéléra le pas ; marcher le réchauffait, alors autant tenter d'avancer un maximum avant la nuit.


Les Vents du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant