Chapitre 13

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Axel battit des paupières, se redressa. Ce mal de crâne ! Tout paraissait confus dans son esprit. La bouche pâteuse, il se frotta vigoureusement les yeux. Que faisait-il à trainer au lit alors que le soleil était déjà levé ? Il avait du travail à faire.

Du travail ? Quel travail ?

La pensée le fit vaciller. Il secoua la tête pour s'éclaircir les idées. Quelque chose ne tournait pas rond.

Il se leva, tituba un instant. Il se sentait faible, comme au sortir d'un gros rhume. Ses habits de la veille étaient posés sur une chaise ; il s'habilla, ajusta sa chemise devant le miroir. Le pantalon était bleu, la chemise d'un joli jaune qui mettait en valeur sa peau mauve. Il fronça les sourcils. Sa tenue de travail était certes parfaite, mais pourquoi avait-il l'étrange impression qu'il aurait dû porter du noir ?

La barre derrière son front revint, et il se massa les tempes. Il devait arrêter de réfléchir. Sa vie était ici, après tout. La porte s'ouvrit.

— Oh, tu es déjà levé, mon amour !

Axel sursauta.

Dans l'embrasure de la porte, une jeune femme lui souriait. Des cheveux noirs et bouclés, une délicate gemme tatouée sur le front, la peau d'un bleu pur, vibrante. Une certaine inquiétude se lisait pourtant dans les yeux sombres. Comme lui, elle avait passé sa tenue de travail ; un pantalon de toile épaisse et une chemise de lin pâle.

Elle s'approcha, lissa une mèche de cheveux, posa un baiser sur ses lèvres.

Tout lui paraissait si naturel, et en même temps...

— Tout va bien, Alexeï ? dit-elle en caressant sa joue.

Il se massa le front. Alexeï ? Il y avait des sonorités familières dans ce nom. Mais c'était bien son nom. Alexeï.

— J'ai du mal à réfléchir, admit-il. Ma tête bourdonne.

Elle prit un air soucieux.

— Oh, je vois. Tu ne t'es toujours pas remis de la fête, hier soir ?

Quelle fête ?

— Notre mariage, reprit-elle en avisant sa confusion.

Et elle prit sa main dans les siennes, caressa du bout du doigt l'anneau d'argent sur sa main gauche. Alors il était donc marié ? Il n'en gardait aucun souvenir.

— Mais tu n'as vraiment pas l'air bien, dit-elle, un air soucieux sur le visage. Viens, je vais te conduire au guérisseur.

Elle lui prit la main et il la suivit, un peu perdu, sans oser dire non. Et puis après tout, peut-être qu'il pourrait lui parler de ces maux de tête. Dès qu'il essayait de réfléchir à sa situation, un pic de douleur apparaissait derrière ses yeux.

Ils descendirent au rez-de-chaussée, et Alexeï plissa les paupières en sortant sur le perron. Après quelques instants d'acclimatation, il distingua mieux son environnement. Des poules picoraient ça et là, et sur sa gauche se trouvait un potager. Distraitement, il songea qu'il devrait penser à arracher les mauvaises herbes et donner un coup de binette. Le jardin était bordé d'une haie fleurie, avec un poulailler. Lucille s'occupait toujours de ramasser les œufs avant le petit déjeuner, il s'en souvenait maintenant.

À droite, contre le mur de la maison, se trouvait son atelier. Son atelier ? Mais...

Lucille l'entraina, interrompant sa réflexion. Ils habitaient en bordure du village, et tous les habitants eurent un sourire et un mot de félicitations pour eux. Les pommettes de Lucille avaient viré au bleu foncé. Alexeï sourit et s'efforça de remercier tout le monde. La politesse était importante. Une notion qu'il associait à des yeux bleu-acier.

Alexeï secoua la tête. Décidément, ses pensées suivaient parfois un cours étrange.

Deux rues plus loin, Lucille frappa à la porte d'une coquette petite demeure. Les fenêtres étaient fleuries de géraniums, et dans le carré qui bordait la maison, Alexeï reconnut de nombreuses herbes et épices. Au-dessus de la porte d'entrée, un bouquet de lavande séchait au soleil.

La porte s'ouvrit, laissant apparaitre une figure parcheminée et souriante. Sous les sourcils broussailleux, le regard était espiègle. Vêtu d'une robe noire, serrée à la taille par une ceinture de corde à laquelle deux bourses rebondies étaient suspendues, l'homme les invita à entrer.

— Lucille, Alexeï ! Je vous attendais.

Soudain mal à l'aise, Alexeï fronça les sourcils.

— Est-ce que... je vous connais ?

— Ah, l'alcool de cerise était bien fort, hier soir ? gloussa son interlocuteur. Je suis Solerys, l'herboriste de ce village. C'est moi qui te fournit la tisane qui soulage tes migraines.

— Je me souviens ! sourit Alexeï. Je me sens si ... étrange, depuis ce matin.

Solerys hocha la tête.

— L'alcool et les médicaments ne font pas bon ménage, jeune homme ! fit-il en agitant le doigt. Je vous avais prévenu.

— Toutes mes excuses, marmonna Alexeï, se sentant coupable.

Solerys sourit.

— La fougue de la jeunesse ! Vous restez prendre le thé, j'espère ?

Un peu perdu, Alexeï consulta son épouse du regard.

— Bien sûr, répondit Lucille.

— Parfait. Installez-vous, installez-vous. Je vais préparer tes remèdes, pendant ce temps.

L'intérieur se révéla bien plus confortable qu'Alexeï se l'était imaginé. Une table basse trônait devant la cheminée où ronflaient des flammes. Sur un napperon en dentelle fine, trois plats se partageaient la place : des sablés aux épices, des petits cakes à la cerise, et des gaufrettes au sucre croustillantes. Alexeï en salivait d'avance.

Il s'installa dans l'un des quatre fauteuils moelleux, attentif à la position de ses ailes. Sa main s'était portée sur sa hanche, comme s'il y manquait quelque chose. Il secoua la tête. Décidemment, son imagination lui jouait des tours.

Lucille prit place dans le fauteuil près de lui, serra sa main avec un sourire. Solerys les rejoignit peu près, une théière fumante dans les mains.

— Attention c'est brûlant, prévint-il en la posant sur la petite table. Je vais chercher les tasses.

Il cala ses maniques sous le bras et repartit vers la cuisine. Il revint rapidement, disposa avec art chaque tasse sur sa soucoupe assortie, puis versa le thé.

— Ah, l'odeur délicate du jasmin, huma-t-il en portant la tasse à ses narines. Encore quelques minutes et il sera parfait. Servez-vous, servez-vous !

Histoire de ne pas paraitre impoli, Alexeï s'empara d'une gaufrette, mordit dedans. Aussi sucrée et croquantes que dans ses souvenirs ! Un vrai délice.

— Alors, Alexeï, dis-moi tout. Que t'arrive-t-il ?

— Je ne sais pas trop, pour tout vous dire, répondit le jeune homme avec hésitation. J'ai parfois l'impression de... je ne sais pas. Ne pas être moi-même ? Je sais, ça peut paraitre stupide... mais ces maux de tête m'empêchent de réfléchir correctement.

Solerys avait pincé les lèvres, l'air concentré. Lucille paraissait inquiète. Alexeï s'obligea à rester calme. Quoi qu'il lui arrive, il ferait face avec honneur.

— Je changerai le dosage, dit enfin Solerys. En attendant... (il confia une bourse à Lucille). Une cuillère en infusion, matin et soir. N'hésite pas à passer me voir si ça ne s'améliore pas.

Alexeï le remercia, serra la main de Lucille et sourit en croisant son regard. Il ferait tout pour qu'elle garde le sourire ; elle n'avait pas à tant s'inquiéter pour lui.

Les Vents du DestinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant