COLORFUL

31.12

Maintenant

- Ecoute Bianca, là je ne peux rien faire pour la promotion de Pénurie, ce soir c'est le nouvel an et tout le monde est assez occupé comme ça. [...] On reprendra demain. [...] Je sais que l'album sort dans 32 jours, merci.

Ma lassitude se ressent au nombre de mes soupires. Je tourne la tête pour ne pas rentrer dans une voiture lorsque je tourne mon volant. Ma manager m'a appelé pendant que je traversais Los Angeles pour rejoindre un plateau télé. J'ai insisté plus tôt dans la journée pour y aller seul, puisque je dois fêter le nouvel an avec des amis au niveau de Hollywood juste après. C'est bon cette liberté, pouvoir rouler seul et être maître de ses mouvements. Mais là elle est en train de tout gâcher en m'énervant comme elle l'aurait fait si elle avait été juste à côté de moi.

- Oui j'ai vu. [...] QUOI?! Tu sais ce que je lui dis-moi à ton boss de m****, qu'il aille se faire f****, p*****, cet enf***, je [...]

J'enchaîne une panoplie d'insultes et de menaces en calant au feu vert parce que je ne suis pas attentif à ce que je fais. Je me retiens de hurler de rage, sans compte qu'en plus de ça mon téléphone tombe de mon épaule où je l'avais calé dangereusement avec ma joue.

- MAIS QUELLE JOURNÉE BLOODY HELL!

Je reprends la route parce qu'on klaxonne et me penche pour tâter le sol afin de retrouver mon cellulaire, ce que je réussis à faire par miracle. Après un coup d'œil vers l'écran je me rends compte qu'il est déjà 14h45, que mon interview est dans une heure et que la conversation a raccrochée. Ça c'est une bonne nouvelle. Je connecte le portable au Bluetooth de la voiture et lance une playlist aléatoire pour me détendre mais ce n'est malheureusement que de très courte durée car il se remet déjà à sonner. Je vais câbler. J'appuie sur répondre en mettant mon clignotant.

- J'te jure Bianca que tu si tu me reparles encore une fois de ce c****** de m-

- C'est Oscar.

Je ne me suis jamais tu aussi vite. Quoi ? Impossible. En jetant un coup d'œil à mon téléphone je réalise pourtant que c'est vrai. O.L. est affiché en grand.

- Tu euh, oui, je, quoi? Je bégaye en plaquant ma main sur mon front juste après.

Pourquoi j'agis toujours aussi bêtement quand il s'agit de lui ?

- Tu attendais un appel?

Je le remercie de ne pas mentionner ma maladresse ou ma vulgarité. J'essaye de me garer dès que possible sur le trottoir.

- Non, non, désolé. Ça va? Je, je peux faire quelque chose pour toi?

Je prends mon téléphone pour l'amener à mon oreille. Il y a du bruit autour de lui et c'est bien la première fois qu'il me contacte de lui-même alors je suis quelque peu inquiet.

- Eeeeeeeeuh... Ça va mais c'est bizarre.

- Qu'est-ce qui est bizarre?

- T'es pas là aujourd'hui. Hier non plus et avant hier encore moins, mais là t'es pas là et c'est aujourd'hui.

Il a bu. C'est obligé. Il parle lentement et il a l'air à l'ouest.

- T'es où Oscar?

- Je suis tout seul.

C'est faux. J'entends du bruit derrière lui. Il n'a pas répondu alors j'essaye autrement.

- Moi je suis à L –

- L.A. Je sais, j'ai vu la photo que tu as mis sur Instagram.

Je ne savais pas qu'il regardait mon actualité puisqu'il ne me suit plus sur les réseaux sociaux depuis des mois. Il a dû le faire parce qu'il est complètement bourré.

- Et toi, où es-tu?

- Tu sais ce que j'ai fait le soir de notre premier nouvel an, pendant que tu passais ta soirée avec Luke à rigoler comme des débiles?

Je n'aime pas la manière dont il parle. J'espère qu'il est entouré de bonnes personnes. Je suis content qu'il m'appelle mais j'aurai aimé que ce soit dans d'autres conditions.

- Qu'est-ce que tu as fait, dis-moi?

- J'ai baisé Alison dans les toilettes du bar. Et j'l'ai baisé quand on est rentré dans son appart' et j'l'ai b-

- Arrête. Je le coupe en serrant la mâchoire, ça me pinçait le coeur.

- J'l'ai baisé et j'pensais à –

- Oscar, ferme-là. T'es où là? A New York?

- Je suis... Il prend un instant avant de répondre et j'entends du mouvement avant qu'il revienne à notre conversation. C'est le premier nouvel an qu'on ne fait pas ensemble Sun. C'est triste sans toi. Tout est toujours triste sans toi.

Je sais qu'il va regretter de m'avoir dit ça demain. Ce surnom. Ça fait mal d'entendre des choses comme ça. Ça fait mal de savoir que je le blesse tout le temps, même quand je ne suis pas là.

- Quelle heure est-il? Je tente puisqu'il ne répond pas à mes questions concernant sa localisation.

- Il est... 11.58 pm.

C'est le fuseau horaire de l'Angleterre alors je parierais sur Londres. C'est trop loin pour que je puisse le voir.

- Retourne avec tes amis, le décompte ne va pas tarder.

- Tu vas le fêter avec Eléa toi?

Je pousse un soupire. Je ne veux pas lui mentir mais je ne veux pas non plus qu'il s'imagine que nous avons rompus. Je passe mes doigts dans mes cheveux.

- Non. Elle arrive demain.

- Ton accent me manque aussi.

- Bébé... A peine ai-je prononcé ce surnom que j'ouvre les yeux en grand. Merde. Ça m'a échappé. Je me corrige. Oscar. Retourne à ta fête, tu le regretteras demain.

Un silence s'installe mais cette fois il ne bouge pas. Je n'entends que son souffle contre le téléphone, au creux de mon oreille. Est-ce qu'il est encore là?

- Je te déteste.

Aïe. C'est mérité mais bordel, ce que c'est douloureux. Il continue:

- Je te hais Isaac. De tout mon cœur je te hais. Oui. Isaac Page, toute ma haine t'es entièrement vouée. Tu m'entends? Je te déteste. Je te hais, je te hais, je te hais!

On dirait un enfant et je n'ai pas besoin de l'entendre renifler pour deviner ses larmes. J'ai tout gâché, encore. Je le sais. Mon cœur se serre brutalement. Sa peine fera toujours la mienne. J'essuie ma joue d'un revers de manche en essayant de trouver la force au fond de moi pour lui répondre.

-Je sais. Mais je me hais encore plus.

Bip.

Je regarde mon écran. Il est minuit chez lui. Il a raccroché