Chapitre 16

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Avant

Il m'arrivait d'avoir peur et de m'inquiéter pour notre génération, comme ça, d'un coup, en y pensant. Je nous regardais, dans les transports en communs, dans les fêtes foraines, à la fac, au lycée et j'étais terrifié à l'idée que quelque chose soit cassé en nous. Les sourires qu'on affiche sur nos visages ne sont pas dans nos yeux. On fait tous un peu semblant. Et j'étais d'autant plus peiné de voir que c'était aussi le cas de gens avec qui j'étais proche, comme Oscar. Nous étions tous dans Bernard, en direction du tout nouveau centre d'arcade qui venait d'ouvrir grâce à la mode des années 80 qui revenait en force. Le bouclé venait de perdre sa fausse bonne humeur en croisant les bras sur son torse. Son regard se perdait vers la fenêtre.

- Si tu le dis. Mais je me dis qu'on est tellement habitué au sentiment de la culpabilité qu'on ne veut plus se différencier des autres. On fait tout pour être des gens normaux qui vivent des vies normales, sans faire de vagues, parce qu'avoir plus que l'autre ce serait lui être "supérieur". Et on s'en voudrait, par notre supériorité de rabaisser.

- Ça c'est uniquement si tu gardes une vision binaire des choses. J'ai répondu en le regardant.

Il n'a pas répondu et c'était sans doute parce que j'avais ignoré tous ses messages au cours de la semaine passée. Bon. Il n'y en avait pas eu non plus 25 mais les quelques-uns qu'il m'avait fait pour prendre de mes nouvelles ou me proposer de sortir n'ont obtenu que des réponses brèves ou négatives. J'ai poursuivi.

- Dominé ou dominant, écrasant ou écrasé, intelligent ou bête, gentil ou méchant. Mais on est pas comme Machiavel a voulu l'expliquer, tout blanc ou tout noir. On est tous des nuances de gris.

Oscar a encore une fois, pas répondu à ce que j'ai dit et c'est Alison qui a gentiment repris la conversation.

- De toute façon l'important ce n'est pas ce qu'on est mais ce qu'on choisit d'être. Je veux dire, on naît avec plein de déterminants, y'a tout un tas de trucs qui définissent toute notre vie sans qu'on puisse choisir ou avoir un quelconque impacte dessus comme nos origines, notre famille, le capital culturel avec lequel on démarre... Ce qui compte ce n'est pas tous ces trucs mais ce qu'on décide d'en faire, comment on s'en détache ou s'y raccroche pour être nous-même, comment on traverse les épreuves en faisant nos propres choix, ceux qui correspondent à nous, pas aux autres.

Naël a arrêté la voiture dans un parking souterrain et on est tous sortit. J'ai enfoui les mains dans mes poches, mon visage s'est tourné vers Alison au moment où que mon meilleur ami passait son bras autour de ses épaules en gloussant.

- En tout cas ce qui est sûr c'est que ce soir on va s'E-CLA-TER. Il me reste environs 30£ pour finir le mois et je compte clairement me ruiner en jouant aux jeux les plus pourris.

- Et moi je suis sûr que tu vas tout claquer en moins de 10 minutes et tu vas venir chialer pour qu'on te donne des petits pences et un paquet de pâtes.

Tout le monde a ri, Naël a tapé l'arrière de ma tête, on s'est chamaillé sans trouver de juste milieu jusqu'à ce qu'on rentre dans l'arcade. L'ambiance était chaleureuse et colorée, les gens s'amusaient sur toutes ces vieilles machines et Take On Me de A-ha jouait son refrain. On s'est vite dispersés sans pour autant rester loin les uns des autres. Oscar et Alison se sont concentrés sur Pac-Man et Naël et moi nous sommes affrontés à Street Fighter non sans tricher.

- TU PRENDS TOUTE LA PLACE!

- BOUGE!

On ne s'est arrêté de se battre qu'au moment où Alison a supplié Naël pour faire un jeu de danse parce que Oscar ne voulait même pas essayer. On s'est mis tous les deux derrière eux pour les regarder sauter sur les bonnes touches au sol et j'ai essayé de faire la conversation.

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