Simon says

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J'aimerai dire que le tout dernier concert de la tournée était le meilleur mais je sais que ce n'est pas le cas. Pas parce que ma performance était nulle ou parce qu'il y a eu de petits problèmes techniques, mais parce que Oscar n'a pas pu venir. Evidemment c'est presque inhumain lorsqu'on a soit même des contraintes de suivre une tournée entière, je ne lui en veux absolument pas, mais c'est à ce moment précis, celui où les gens continuent d'applaudir quand c'est terminé que dans ma tête tout semble exploser.

Il y a une musique plutôt amusante qui est sortie il y a quelques jours, elle n'arrête pas de tourner en boucle dans ma tête. Elle a été écrite par un girls band sous la direction de Simon. Ces filles dénonçaient son mauvais traitement, puisque cette affreuse personne est aussi sadique au nom de l'argent avec absolument toutes les personnes sous sa tutelle. Pour que ça passe inaperçue elles ont utilisé l'expression anglaise "Simon says" qui en français donne le fameux "Jacques a dit". Quand Jacques/Simon dit quelque chose, c'est un ordre, on doit le faire sous peine d'être éliminé de la partie. Et moi aussi ça me gonfle de faire tout ce qu'il m'ordonne. Subir Eléa, ne plus être avec l'homme que j'aime, vivre avec elle. Je réalise que chaque évènement de ma vie a été murement programmé et réfléchie par Simon et que je sois avec ou contre lui ne change absolument rien puisqu'il gagne à chaque fois.

J'en ai assez. Je veux plus le laisser avoir le pouvoir comme ça.

A quoi ça sert d'être aimé par tous ces gens si je ne peux pas être aimé par la seule personne que je désire profondément? Est-ce que l'amour peut être sacrifié pour la gloire, l'argent, le succès? J'ai toujours pensé qu'il fallait être raisonnable, penser à long terme, s'assurer un avenir. Mais honnêtement, là, tout de suite, peu importe à quel point iels crient de joie si lui n'est pas là pour le faire. A quoi bon chanter des mots d'amour pour qu'il ne les entende pas? Et puis pourquoi mon public ne pourrait pas m'aimer à cause de ma sexualité? Je ne veux pas que les homophobes m'écoutent, j'en ai absolument rien à foutre si ça me fait perdre toute mon audience et que mes concerts n'accueillent que trois personnes. Je veux chanter pour eux, pour ces personnes braves qui m'accepteront comme je suis et peut-être se reconnaîtront dans mon travail.

Les rumeurs sur ma relation avec Oscar ont redémarré dès que des personnes l'ont reconnue à des entrées ou sorties de concert et puisque des gens nous soutiennent, il y a évidemment de beaux drapeaux LGBT+ dans la foule. En même temps il faut comprendre que toutes mes musiques sont neutres, sans exception, et ça plaît beaucoup puisque tout le monde peut identifier la personne qu'iel aime. Je veux chanter l'amour, pour celleux qui doivent encore se battre pour aimer. Je veux pouvoir écrire autant que je veux sur un garçon et qu'on se fiche de mon genre. Je veux être aussi fière que lui de ce que je suis, comme avant.

Tu es fou Isaac.

Je ne sais pas si fou est un mot psychophobe mais il est certain que je n'agis plus comme mon cerveau complètement conditionné le voudrait. Je me penche au bord de la scène et j'attrape un drapeau en remerciant les personnes qui me le tendent. Je le regarde de longues secondes, je crois que les gens sont plus bruyants. Mes musiciens continuent de jouer, ils doivent les faire jusqu'à ce que je sorte, ce que j'aurai dû faire il y a un moment.

Le tissu du drapeau est doux, il procure une sensation dans mon ventre et dans mes mains que je n'avais pas ressentis depuis longtemps. Ça fait littéralement des années que je n'en avais pas vu un d'aussi près. Qu'est-ce que j'ai foutu pendant tout ce temps ?

-         Isaac!!

La voix d'Oscar cri mon nom depuis les coulisses. Il vient d'arriver, il a l'air d'avoir peur pour moi. Comme un enfant je lui tends le drapeau, le sourire scotché aux lèvres, les larmes perlant aux yeux. Je crois qu'il comprend. Je suis en train de laisser tomber l'histoire inventé de toute pièce sur ma sexualité devant les yeux du monde entier. Je le fais face au public mais aussi devant Oscar et les personnes qui suivent ce qui se passe sur internet. Les conséquences ne comptent plus, elles ne seront rien en comparaison à ces dernières années, la souffrance que Oscar a vécue, la mienne, celle de toutes les personnes forcées de jouer des rôles pour plaire à ce monde hétéronormé. Maintenant, tout de suite, je n'ai plus peur, et pour lui montrer je me mets à danser sur le rythme de la musique -je suis toujours aussi lamentable- avec mon drapeau sur scène. Je finis même par m'en faire une cape et je me recentre sur le public pour le faire danser avec moi. Dès que je quitterai cette scène je devrai contacter mes avocats pour mener une lutte contre la maison de disque afin de me défaire du contrat. Je n'ai jamais entendu parler d'artiste qui se dévoilait ainsi, tout le monde a peur. Je crois que je suis en toute illégalité et que les conséquences seront désastreuses, peu importe. Si ce qu'ils veulent c'est de l'argent alors ils en auront, autant qu'ils veulent, ça ne m'intéresse plus.

En plein dans mes mouvements la foule se fait plus bruyante encore et je me retrouve encerclé par des bras que je connais parfaitement. Nos tatouages se complètent, je les regarde voguer en rythme. Je n'avais pas vu nos peaux à la lumière du jour depuis bien trop longtemps. Nous sommes dehors, le soleil se couche sur la Californie, je ne veux plus jamais retourner dans l'ombre.

En me tournant le sourire d'Oscar me rassure dans mon impulsion et le baiser que nous échangeons est celui de la liberté. J'aime penser qu'il célèbre un nouveau mariage, un plus fort, au grand jour, sans non-dit, un qui n'est pas exécuté dans l'appréhension de quelque chose de terrible. Nous ne sommes plus obligés de nous cacher, nous ne sommes plus obligés d'être dans le paraître ou de faire ce que Simon dit.

Un poids a quitté mes épaules, j'ai en moi maintenant assez de forces pour me relever, faire partie des braves et tout affronter avec l'énergie du feu qui rencontre du gasoil, d'une bombe radioactive qui tombe, d'un bâton de dynamite perdue dans un endroit hautement inflammable, de ma rencontre avec Oscar.

COLORFULOù les histoires vivent. Découvrez maintenant