Chapitre 2

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Maintenant

Ça fait des plombes que je suis devant mon téléphone, à retaper en permanence mon message.

"Salut 'Scar, tu me manques et je voulais savoir si ça t'intéresserait d'entendre ma première chanson, histoire de discuter un peu et que peut-être, par nostalgie, que je te manque aussi en retour"

Trop honnête et intime.

"Salut tout le monde, voici en avant-première un extrait de mon premier album!"

Hypocrite.

Tant pis. Finalement je n'enverrai pas Ensemble. En fait je ne la publierai même pas. C'était stupide d'écrire comme ça, sur nous. J'ai fait ça sur un coup de tête, entre deux pleurs au fond d'un avion qui m'emmenait trop loin.

Cette chanson parle de la fin, de la toute dernière fois où j'ai essayé de l'appeler pour entendre son répondeur. Je savais qu'il ne répondrait pas, comme les fois précédentes. Je savais aussi qu'il ne voulait plus voir mon nom s'afficher sur son écran. Ce soir-là, j'avais décidé que c'était la toute dernière fois.

"Nos nuits", son premier album est sorti il y a quelque mois. Je sais qu'il parle de nous. J'avais envie d'y répondre, alors j'ai écrit pour la première fois depuis ce qui me semblait être un siècle entier. J'ai griffonné, râlé, roulé en boule le papier, raturé, en boucle, sans m'arrêter.

Un matin je me suis même réveillé en continuant de rêver grâce à nos souvenirs qui jouaient en boucle dans ma tête. Tout ce que je dis dans ces paroles est vrai: il ne saura jamais à quel point il me manque.

Je réussi finalement, par miracle, à envoyer un message un minimum décent et courtois. Je ne sais pas s'il le lira et encore moins s'il écoutera la chanson, mais je reste éveillé toute la nuit au cas où il réponde. Ça me rappelle cette douce époque où je ne comprenais absolument rien de lui, j'étais en permanence face à un mur. Je n'avais jamais connu quelqu'un d'aussi insensible au monde. La plupart des gens, surtout en milieu scolaire, sont à la recherche d'une certaine popularité. C'est normal à ces âges, on a besoin d'approbation pour se sentir exister. Ce n'était pas son cas. Lui au contraire, avait besoin d'être complètement seul. C'est ce qui arrive quand on a trop souffert.

Maintenant je comprends ce qu'il ressentait.

Tu grandis mais ta place n'est nulle part, tu ne te sens jamais totalement à l'aise avec ce qui t'entoure, avec les autres, ni même avec toi-même. Le moindre effort pour faire semblant a l'air banal pour le monde entier et pourtant c'est toujours une montagne que tu gravis. Tu voudrais être partout, partout mais pas ici, pas maintenant, pas encore. On dit souvent que l'adolescence et la vingtaine sont les meilleures années de nos vies mais je crois que c'est faux. Ce sont les plus dures, les plus crues. On tombe, souvent, et puis quand on perd tout en se demande : si rien de plus joyeux m'attends, qu'est-ce que je fais encore là? Pourquoi on reste?

Voilà pourquoi il se refermait et voici pourquoi je le fais maintenant, parce que plus tôt ça allait mieux, parce que plus tôt c'était plus simple. On a oublié d'apprécier l'enfance à sa juste valeur quant à moi j'ai surtout oublié d'apprécier sa présence à sa juste valeur. Je croyais que ça durerait toujours, que nous étions sur un bateau qui naviguerai pour des centaines d'années, sur celui qu'il s'était tatoué sur le biceps. Avec de grandes voiles pour aller loin, des ponts gigantesques pour faire toutes nos bêtises et se chercher encore, se découvrir et s'aimer à en perdre le souffle. Les cales auraient servi à cacher tous nos secrets et nos souvenirs, les mâts à toucher le ciel ensemble.

Nous avons coulé si lentement que c'était à peine perceptible au début, puis quand on s'en est rendu compte c'était déjà trop tard.

Tout était terminé.

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