COLORFUL

Chapitre 43

Maintenant

Rien n'est plus glorifiant qu'être apprécié à sa juste valeur. Un projet nous fait toujours passer par différentes étapes, comme l'invention, la recherche de concrétisation, le doute mais aussi l'échec, la perte de motivation, l'élan qui revient. Un rien peu tout faire basculer. C'est tellement difficile de mener à bien quelque chose de gros, notamment lorsqu'on ne va pas bien. Sur scène, là, alors que les personnes qui m'écoutent et portent les fringues de mon site me hurlent de faire une dernière musique je ressens en moi un sentiment sincère de fierté. J'y suis arrivé. Je chante pour des milliers de personnes le fruit de ma création, après des mois et des mois de travail acharné pour que tout soit parfait. Chaque heure a payé à en juger aux sourires de toutes ces personnes dans la foule.

La tournée vient de commencer, c'est le tout premier concert d'une longue aventure planifiée sur des mois. C'est la première que je suis le seul chanteur sur scène. Toutes ces personnes ne peuvent pas imaginer à quel point je leur suis reconnaissant de me soutenir de cette manière, sans eux Simon ne m'aurait jamais permis de m'amuser comme je l'ai fait ce soir.

Je n'ai pas le droit de chanter encore. La rentabilité est le mot d'ordre. Tout doit être millimétré, calculé au centime près. Si les bénéfices ne sont pas intéressants alors on ne ferait plus rien. Cette manière de penser était compréhensible mais me mettait mal à l'aise. Je n'apprécie plus autant qu'avant les grandes industries musicales.

Les derniers remerciements me font toujours un pincement au cœur, c'est un bon moment de passé, une date en moins, et lorsque je quitte la scène je ressens enfin les effets de l'adrénaline qui s'évaporent et la fatigue qui vient nouer mes muscles.

-         C'était génial Isaac, tu as fait un bon travail.

Bianca me tend une serviette et une bouteille d'eau que j'accepte sans broncher. Boire. C'est beaucoup trop satisfaisant comme sensation. Mes yeux se ferment de plaisir tant ça me fait du bien, ce qui me vaut d'absolument tout recracher quand je les ouvre à nouveau. Heureusement pour moi, plus personne n'est en face. J'essuie ma bouche brièvement en finissant de tousser contre le tissu.

-         Je te fais autant d'effet?

Oscar et son grand sourire étaient juste devant moi. On n'a jamais trop rediscuté depuis qu'on s'est embrassé au Cloud91 la semaine passée. Je pensais qu'il regrettait assez son geste pour couper à nouveau les ponts avec moi, mais il faut croire que je me trompais puisqu'il est actuellement juste là.

-         Qu'est-ce que tu fais ici?

-         Je suis venu comme toute personne avec un maximum de bon goût apprécier un incroyable concert.

Si seulement j'avais su qu'il était là pendant tout ce temps je... Je ne sais pas ce que j'aurai fait mais les choses auraient été différentes. Il méritait le meilleur. Je reviens à la réalité en voyant dans mon champ de vision Bianca parler à -hurler sur- un technicien plus loin. Normalement Oscar n'a pas le droit d'être avec moi, sa présence était beaucoup trop risquée, surtout si ma manager le répète à Big Boss. J'attrape le bras du bouclé pour essayer de le tirer mais il ne bouge pas d'un poil. Il a toujours eu une carrure plus musclée et imposante que la mienne ( uniquement parce qu'il est grand).

-         Tu peux pas rester là Oscar, ne fais pas l'enfant, vite.

-         Bianca est au courant de ma présence. Elle ne va rien dire. Tu crois que je prendrais le risque de te causer des ennuis?

J'arrête de tirer sur son bras, ça me fait sourire comme un crétin. Toujours attentionné, toujours doux. Il ébouriffe mes cheveux même s'ils sont sales et mouillés pour que je réagisse et arrête de le fixer comme un gamin devant le père Noël.