COLORFUL

Oscar (2)

Avant

Regardez ses yeux. Regardez ses yeux et dîtes-lui non. Dîtes-lui non parce que c'est une mauvaise idée et dîtes-lui non au risque de briser son cœur si pur. Observez tout avec attention, comme je le fais. Observez tout et refusez-lui quoi que ce soit. Ses yeux, ses lèvres, son nez, ses joues, ses cheveux qui tombent sur son front. Vous ne pouvez pas. Vous ne pouvez rien dire à la négation lorsqu'il demande de cette manière, avec ce supplice dans la voix comme s'il allait mourir si la réponse n'était pas celle attendue. Pourtant il ne vous tend pas de piège, vous avez toujours le choix, vous savez que si vous disiez non il l'accepterait et finirait par se relever. Son sourire qui trahit son angoisse face au silence. Ses doigts qui s'entremêlent nerveusement. Il n'a jamais été faible. Ses jambes se balancent légèrement dans le vide sous le suspens. Il est incroyable, sous toutes les lumières. Vous ne pouvez pas refuser, peu importe la volonté que vous y mettrez. Moi non plus.

-         Marché conclu.

C'est moi qui aie prononcé ces mots mais je n'ai pas reconnu ma voix. C'est la pire idée. J'ai déjà perdu alors que nous venons de commencer. Vous m'avez regardé accepter de ne plus le toucher, de ne plus le prendre dans mes bras, de ne plus sentir sa peau si douce sous mes doigts ou ses cheveux contre mon visage. Vous êtes les témoins de mon erreur. Mais je ne vous en veux pas, il est impossible à résister. J'ai accepté sa demande et son sourire s'est éteint. Ça y est. C'est fini. Je comprends sa demande, je dois prendre mes responsabilités au sérieux. Mais comment vais-je faire pour ne pas l'abimer et continuer de recevoir son amour maintenant ?  Vous devez bien rigoler, vous foutre de ma gueule et d'à quel point je vais souffrir, d'à quel point je suis déjà minable et je ne vous en voudrais pas parce que vous ne verrez jamais aussi bien que moi tout l'amour dans ses yeux, tout cet univers entier, bien plus beau que le mien. Il aurait pu me dire n'importe quoi, j'aurai tout accepté tant que ça venait de lui.

Je sors de la salle de surveillance pour prendre une tasse de thé et cet idiot est encore là quand je reviens, à écrire ce que je devine être un énième chef-d'œuvre. Je n'aurai pas préféré qu'il parte mais ça aurait été mieux pour lui, il n'a pas besoin de cette atmosphère bizarre qui vient de moi. Je suis maussade. Lui, rayonnant. Moins que d'habitude certes, mais il l'était toujours. A la fin de mon service je le dépose chez lui et je rentre chez moi pour dormir. Je dois rester fidèle à Isaac. Apprendre à ne plus aller voir ailleurs. Alors j'essaye. J'essaye dès maintenant pour arrêter cette sanction. Je veux pouvoir lui dire au plus vite « 'Zaak regarde, j'ai réussi, viens plus près, on est mieux ensemble. ». Il serait tellement fier de moi. Mais les choses ne marchent pas comme ça. Elles ne marchent jamais comme je veux.

Il ne comprend pas.

Ce n'était pas une question de libido débordante ou d'un manque de confiance en soi qui me poussait à plaire aux autres.

Vous le savez, vous, mes démons.

Je ne remplace qu'une ancienne addiction.

Je comble un vide que j'ai moi-même créée.

Il ne doit pas le savoir.

Je déteste vivre avec moi-même je ne devrais pas lui infliger un tel calvaire.

Je devrais le laisser, il serait plus heureux sans le fardeau que je suis.

Il va finir par me haïr lui aussi.

Mais j'ai besoin de lui. J'ai besoin de lui, de son accent, de son rire contagieux, de ses yeux qui regardent le monde si différemment. Le vide revient. J'ai mal. Je dois panser le mal. Où est-il? Non, il ne voudra pas de moi comme ça. Il ne doit pas me voir comme ça.

Jenn.

Où est Jenn?

Je dois remplir. Je dois combler. Le vide fait mal, il m'absorbe, j'ai besoin d'aide. Jenn, vient. Ma tête tourne. Mon ventre est douloureux. Il me faut ma dose. Jenn pitié. Il n'y a plus assez de bruit. Je vous entends trop. Taisez-vous. Jenn vient de me répondre. Mais fermez-là. Vous me faites mal. Je sais que je ne vaux rien. Je sais ce qu'il penserait. Je sais qu'il aurait honte et ferrait demi-tour en me voyant dans cet état. Mais je vais voir Jenn et ça ira mieux.

Si je la rejoins, je n'aurai pas à le contacter désespéramment et il ne saura rien de ces crises. Le marché? Je suis incapable de le tenir, vous le savez déjà et vous en jouez. Il devra attendre. J'ai peur. Il me déteste déjà, j'en suis sûr.

Non.

Isaac ne peut pas me détester, il est trop gentil pour ça. Pourquoi il ne veut pas m'embrasser alors? Je le répugne? Il aime les hommes mais pas moi. Je ne suis pas un homme pour Isaac. Est-ce que c'est mon corps? Ma personnalité? Mon visage? Il n'aime rien de moi, comme moi. Il aime Luke. Jenn est là. Elle est toute nue.

Est-ce que Isaac a déjà fantasmé sur moi? Est-ce qu'il a déjà imaginé ma langue sur lui? Est-ce qu'il a déjà rêvé de mettre sa main sur ma tête comme j'aimerai qu'il le fasse? Merde j'ai tellement envie d'Isaac, non, de Jenn. Peut-être que ce n'est pas ma langue dont il a déjà songé mais mon corps tout entier pour lui, sur un drap blanc. Je lui donnerai s'il le demandait. Mais il ne le fait pas parce qu'il ne me veut pas. Je le dégoûte.

T'es dégueulasse Oscar.

Tu nous dégoutes.

Taisez-vous. Jenn se laisse faire entièrement. Ses lèvres sont bonnes. Jenn. Jenn. Jenn. Isaac. J'ouvre les yeux mais ce n'est pas lui. Alors je la retourne. Est-ce que Luke lui fait l'amour comme ça? Ou est-ce que c'est Isaac qui a cette vision? Jenn. Arrête de penser Oscar, tu ne jouiras pas. Regarde-la prendre du plaisir. Ses cheveux sont courts, presque autant que ceux d'Isaac. C'est ce que j'aime chez elle. Mais sa voix est trop aiguë, elle n'a pas son accent. Plus le temps passe et plus je suis exigeant en filles. C'est parce que je ne peux pas l'avoir lui.

Et ça n'arrivera jamais, regarde-toi Oscar. Tu baises encore avec une fille alors qu'il y a quelques heures à peine tu as dit à Isaac que tu voudrais que ça marche entre vous.

Mais Isaac tout seul, est-ce qu'il pourrait combler le vide? Oui. Bien-sûr que oui abrutit. Il est l'antidote. Je le sais. Mais pour combien de temps? Et quand il 't'abandonnera, tu feras comment ?

Sauf que tu vas finir par le répugner comme tu te répugnes.

Le choisir juste lui reviendrait à lui offrir mes secrets. A quoi pensera-t-il quand il apprendra? J'ai changé, promis j'ai changé et je changerai encore. J'essaye vraiment.

En mieux tu crois?

Taisez-vous. Laissez-moi jouir, même si elle n'est pas suffisante.

Tes mains ont envie de parcourir un torse, le sien.

Ce n'est pas vrai. J'aime ses seins.

Ça fait un moment que tu n'aimes plus les filles, pourquoi tu mens encore à tout le monde?

Personne ne comprendrait. Puis c'est sa faute. Je ne savais pas que les hommes pouvaient me plaire avant qu'il ne débarque dans ma tête. Les séances de sport sont une torture. Son short bordel. Ses tee-shirts sans manche et ses biceps. Comment peut-il être encore célibataire? Il est si hot. Rien que ses mains. Fuck. C'est bon. C'est fini. Elle se rhabille. Je fais tache à côté de lui. Il ne le fait jamais remarquer mais il devrait. Il me fait sortir avec ses potes, il a l'air fier d'être avec moi. Comment fait-il? Je voudrais son secret pour m'aimer. Oscar, personne ne t'aime, arrête de dire toutes ces conneries. C'est bon, vous avez gagné. Je vais rentrer chez moi et je vais passer une journée entière dans le noir avec vous.

C'est tellement le bordel. Il ne peut pas comprendre.