Isaac. Chapitre 1

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-         Ok Isaac, t'es prêt?

Georges peaufine encore un ou deux détails puis ajuste le niveau sonore de l'enceinte en tournant la tête vers moi. Les mains dans les poches, assis sur une table derrière lui, je hoche la tête en silence, en pinçant mes lèvres entre elles. C'est un vieux tic qui trahit mon appréhension.

« Je t'ai appelé la nuit dernière, pour au moins tomber sur ton répondeur... »

La musique démarre par ma voix et pour la première fois de toute ma vie je m'entends, moi, chanter seul sur une version propre d'un de mes morceaux que nous venons à peine d'enregistrer. Je n'irai pas jusqu'à dire que j'adore m'écouter mais ça me fait une sensation toute bizarre, comme un mélange de fierté et de satisfaction, d'avoir enfin réussi à passer derrière le micro pour une création qui n'appartient qu'à moi.

« Tu n'écouteras jamais mon message, mais je le laisse, au cas où. »

J'ai écrit ces paroles, je les ai joués, je les ai chantés, pourtant j'ai l'impression de les découvrir pour la première fois. Oscar aurait adoré me voir dans la cabine d'enregistrement. Il aurait probablement sauté dans tous les sens et prit la place de l'ingénieur du son comme s'il savait mieux faire son travail, pour que tout soit parfait, pour que je sois à l'aise. Quand j'enregistrais je le voyais dans ma tête faire de grands signes avec son pouce, le sourire jusqu'en haut des oreilles parce qu'il était comme ça, il me soutenait dans ces projets là et surtout, il aimait ma voix et mes chansons. Personne ne m'a jamais autant encouragé que lui. Quoi que...


Avant

Lors de ma seconde année à l'université, il y a eu un concours d'écriture organisé par le club de poésie. Est-ce que c'est ringard de participer à un club de poésie? Oui, je sais. Même quand le prince de Bel-Air y était (Will Smith tout de même), ça restait rasoir. Pourtant mon meilleur ami m'avait supplié presque à genoux pour que je m'y inscrive.

-Je crois que tu ne saisis pas réellement l'ampleur des choses.

-C'est un concours de fac Naël, je pense que je réalise assez bien l'ampleur ridicule des choses.

Nous étions devant le grand panneau d'affichage, dans l'entrée principal du bâtiment où nous avions cours. Une feuille (sur laquelle on pouvait lire en lettres capitales: CONCOURS DE POÈMES. Thème: écrivez sans rimes, écrivez comme ça vient, honorez la poésie moderne de votre sensibilité) était épinglée et contenait déjà les noms d'une bonne trentaine de personnes. Il restait de la place, mais pas assez pour que je reste indécis trop longtemps non plus.

-Tu passes ton temps à écrire dans ton carnet! Même l'autre jour en boîte tu t'es caché dans les toilettes pour faire je ne sais trop quoi avec. Ne me fais pas croire que tu n'as rien à proposer qui puisse gagner un concours !

Cette fameuse soirée de la semaine passée m'était revenue en mémoire mais étrangement, ce qui m'a le plus marqué n'était pas le moment où Naël est entré pour me trouver mais plutôt celui du type qui voulait coucher directement contre la porte. Ses pupilles étaient très dilatées mais je crois que ses yeux étaient verts. En tout cas il avait dû beaucoup danser car ses joues étaient rougies et ça se voyait qu'il avait chaud. Je crois qu'il était beau, mais ce n'était pas mon type. Trop de colère, trop de frustration. Juste après notre altercation, ses doigts ont essayé de recoiffer ses cheveux un peu longs et vu que je ne lui accordais plus aucune attention, il s'est avancé vers moi pour croiser les bras sur son torse et m'affronter du regard.

-         Qu'est-ce que tu écris?

-         Des trucs.

-         Nul.

COLORFULOù les histoires vivent. Découvrez maintenant