Anne était une femme tout à fait normale qui logeait en plein cœur de Londres avec son fils Oscar. Sa merveilleuse fille, dont elle était très fière, avait quitté le domicile familial pour vivre sa propre vie quelques années plus tôt. Anne aimait le bon vin, les comédies romantiques, le son de la guitare et la couleur verte. Elle sortait régulièrement avec ses amies au parc en face de chez elle et prenait beaucoup de temps à gérer son petit commerce, ses deux stagiaires et son employé. On pourrait se dire que Anne n'avait vraiment rien d'extraordinaire et pourtant, elle l'était aux yeux de Oscar qui voyait en elle la meilleure mère du monde. Cet après-midi-là, où Isaac a frappé à la porte des Lovell, c'était Anne qui avait ouvert et elle avait été aussi surprise que troublée de voir un jeune homme réclamer Oscar. Elle ne l'avait jamais vu auparavant mais ce n'était pas comme si elle connaissait beaucoup de personnes de l'entourage de son fils parce qu'il était rarement chez eux, puisqu'il avait sa musique, ses sorties à la salle de sport ou avec ses amis et deux jobs.
Isaac, Isaac Page. Comme pour son fils, la première chose qui a interloqué Anne chez lui fut la profondeur de ses yeux bleus comme l'océan. Comment ne pas aimer cette couleur quand on se retrouvait face à une telle intensité? Malheureusement, il ne pourrait jamais s'en rendre compte comme le faisait les autres.
En refermant la porte après leur courte discussion, Anne a monté les marches vers l'étage de Oscar avec des pancakes chauds pour le goûter. Lorsque son fils était à la maison, elle aimait le gâter, surtout qu'il était grand et qu'elle savait que sa chance de pouvoir profiter de lui n'était pas éternelle.
Oscar était encore dans son lit, à fixer le plafond. Ça faisait des jours qu'il n'en était pas sorti et la venue d'une petite blonde la veille ne l'avait pas aidé à quitter sa chambre. Il passait plus de temps à se torturer l'esprit qu'à dormir et la fatigue se voyait sur son visage. Elle s'est retenue de lui faire la remarque. A la place, elle s'est contentée de s'asseoir et d'attendre qu'il prenne le courage de se redresser.
- C'était qui? Il lui a demandé en regardant le plateau.
- Un garçon du nom de Isaac, Isaac...
- Page. Il a complété, aussi surpris que perturbé par cette nouvelle.
- C'est ton ami? Elle s'intéressait prudemment.
En guise de réponse, Oscar s'est allongé à nouveau sur le dos, les mains sur son ventre. Anne a pris un pancake et l'a tartiné puis d'une voix calme, elle a repris la parole.
- Il avait l'air inquiet pour toi. Il a dit qu'il t'avait cherché partout parce qu'il devait te parler.
- C'est pas important maman. Merci pour le goûter.
Ça faisait plusieurs jours qu'elle n'avait pas vu Oscar manger, bien qu'elle observait les paquets de cochonneries disparaître des placards. Il était clairement déprimé. Elle s'est levée pour aller ouvrir les volets en sachant pertinemment qu'elle n'obtiendrait rien de lui s'il ne venait pas vers elle. Son cœur se serrait en imaginant la peine que devait subir son enfant même si finalement elle n'envisageait même pas l'ampleur des choses ou ce que ça concernait. Avant qu'elle ne pose le pied sur la deuxième marche Oscar s'était tourné dans son lit pour la regarder.
- Dis, tu... Il était comment Isaac?
- Comment? Elle a répété.
- Je veux dire... Tu crois qu'il va bien?
Elle n'avait vu ce garçon qu'une poignée de secondes et pourtant elle avait senti sa détresse. Ce gamin souffrait, peut-être autant que son fils. C'est ce genre de chose qu'une maman peut savoir sans poser de question.
- Je pense qu'il était très fatigué. Ses yeux étaient cernés et ses joues creuses. Il bégayait un peu. Mais il était quand même très beau.
Elle a rigolé légèrement pour détendre l'atmosphère et ça a permis à Oscar d'esquisser un sourire. Evidemment que Isaac devait être beau, même comme ça.
- C'est bien Isaac. Oscar avait parlé sans s'en rendre compte. Il s'est redressé sur son lit. Il t'a dit où il allait?
Anne a remonté la seule marche qu'elle avait franchi pour revenir vers lui.
- Il compte pour toi ce jeune homme?
Le regard d'Oscar avait retrouvé ses mains qui jouaient nerveusement entre elles comme un petit garçon. Est-ce que Isaac comptait pour lui? La réponse était évidente même si elle ne voulait pas sortir.
- Personne ne remplace personne, c'est ce que tu disais non?
- Oui, c'est ça. Certaines personnes entrent et partent de nos vies mais elles ne prendront jamais la place que quelqu'un avait précédemment. Que ce soit en amitié, en amour, ou autre. Les sentiments parfois s'effacent, maigrissent mais jamais les souvenirs ne perdront leurs valeurs.
Sa main caressait celle d'Oscar pour qu'elles arrêtent de bouger si nerveusement.
- On peut être unique pour les autres? Même s'ils ne nous aiment plus?
- Bien-sûr.
- Je trouve ça difficile de s'entendre avec les autres... J'ai toujours l'impression de les connaître alors que non, ils me blessent toujours, même lorsqu'ils ont l'air bienveillants. Et puis comment je pourrais les connaître alors que je ne me connais pas moi-même? Ses yeux verts se sont relevés vers Anne en réalisant ses propres mots. Maman, je crois que je me suis perdu.
Il l'a prise dans ses bras en songeant à quel point sa rencontre avec Isaac avait bouleversée sa vie et remis en cause absolument tout ce qu'il savait sur lui-même et le monde. Il se demandait si parfois Isaac rêvait de lui comme lui rêvait de lui, et s'il ne lui disait pas comme Oscar lui cachait également.
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Romance«Fais-le Oscar, ouvre ce message. Non. Ne fais rien. Tu le regretteras. Mais es-tu capable de l'effacer au moins, cette fichue notification? Ou tu vas la laisser traîner encore des plombes, jusqu'à ce que tu en sois complètement dingue?» Après des...