Chapitre 19

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Avant

Je ne crois pas qu'on puisse attribuer des couleurs qu'aux choses que l'on voit physiquement. Un sentiment peut avoir une couleur, la moindre émotion mais son absence aussi. Je ne réalisais pas l'importance de colorer les choses avant de rencontrer Oscar. A vrai dire, c'est son monde en noir et blanc qui m'a fait réaliser à quel point ces nuances étaient loin des miennes. J'aimais le vert, le rose, le jaune, le orange, le rouge, le violet. Pas le bleu. Mais j'admirai tout le reste.

Il portait un pull noir lorsque je l'ai rejoint au Cloud91 le lendemain de l'écriture de Chaines. Je savais que parfois il mettait de la couleur, de jolies chemises, mais cette base incolore semblait profondément ancrée en lui. Ses cheveux étaient à moitié attaché en arrière et il discutait avec Pa', accoudé au comptoir pour le regarder taper sur sa machine. Son pied gauche s'agitait un peu sur le sol, il avait l'air concentré et j'ai hésité une seconde de plus avant de pousser la porte vitrée. Ses mains se sont posées à plat sur la surface du comptoir et il a tourné la tête vers moi en m'entendant. A mesure que mes pas me guidaient vers lui il semblait moins anxieux.

- Isaac, te voilà. Je te présente Pa'.

- Enchanté Monsieur Pa'. J'ai répondu en tendant la main pour qu'il me la serre.

Ça les a fait rire en même temps et je me suis senti soudainement petit.

- Juste Pa'. Oscar a corrigé.

- Et par pitié, tutoies-moi.

Il a fait le tour de son bureau pour venir me prendre dans ses bras plutôt que de se contenter d'une poignée de mains. J'ai regardé Oscar pour qu'il m'aide à avoir une réaction adéquate et il m'a fait un signe de la tête pour que j'enlace Pa' à mon tour, ce que j'ai fait avec timidité. C'était un vieux monsieur avec des lunettes et une adorable tête. C'était impossible d'avoir un a priori négatif sur lui, il était le genre de grand-père qui donnait confiance instantanément. On s'est séparé, il a ri et a frotté chaleureusement le haut de mon bras.

- Je suis si content que vous soyez là tous les deux! Je te laisse lui montrer Oscar? Vous avez de la chance, les livreurs ont déjà tout monté.

J'ai regardé le bouclé avec une mine interrogatrice et il s'est contenté de grimper les marches deux par deux.

- Euh... Et le ticket? J'ai demandé, perdu, en me tournant à nouveau vers le vieil homme.

- Pas aujourd'hui mon grand, aller, grimpe!

Je ne comprenais pas dans quoi Oscar m'avait embarqué mais je n'ai pas tardé à le savoir. A l'étage mon partenaire enfilait un t-shirt blanc beaucoup trop grand pour lui. Dans la salle blanche, tout était en bazar et le sol était bâché. J'ai froncé les sourcils.

- Qu'est-ce que c'est que...

- Enfile ça.

Il m'a jeté un second t-shirt, que j'ai mis en continuant de regarder ce qui m'entourait.

- Qu'est-ce qui arrive à cette pièce? Tout le blanc, je comprends pas, on change de couleur?

- Tu n'as pas remarqué qu'il n'y avait absolument rien ici? Il manque une exposition.

Je me suis soudainement senti comme le roi des idiots. Quel crétin. J'avais passé au moins vingt minutes ici la première fois que je suis venu, à essayer de comprendre quels sentiments je devais ressentir face à tout ce blanc. J'étais même partit dans un délire sur le lait et le sens réel des choses alors qu'en fait, cette pièce était juste inoccupée et vide.

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