S4 #14

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Après des heures et des heures de voitures, je foulais enfin le sol des Tarterêts. La nuit était tombée depuis plusieurs heures mais l'agitation était encore folle. Il faisait moins chaud aussi. Les jeunes sans casque faisaient les imbéciles sur les scoots, les teneurs de mur dealaient, aussi discrètement qu'il leurs était possible de faire. Quelques vieux marchaient pour se dégourdir les jambes sans trop souffrir de la chaleur ainsi que quelques daronnes qui discutaient entre elles les bras chargés de courses, revenant certainement de l'épicérie du quartier. Beaucoup de petits commerces étaient ouverts sept jours sur sept chez nous et parfois même vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

De retour au Zoo, mes sentiments étaient partagés. J'étais contente d'être de retour chez moi mais d'un autre côté, je redoutais notre vie à tous après la descente des gars aux Pyramides. J'avais surpris un bout de conversation entre Tarik et Casper qui disaient que les flics passaient quasiment quotidiennement. J'étais donc inquiète pour eux car leur activité et la volaille ne faisaient pas bon ménage. Il y avait aussi la possibilité que Évry revienne à la charge mais je n'y croyais pas trop pour le moment étant donné qu'il devait être autant surveillé que nous. J'avais suffisamment confiance en la capacité des gars à faire les choses sans se faire choper mais là, le moindre faux-pas pouvait leur coûter très cher. Après dans une moindre mesure, j'appréhendais également la manière dont on allait gérer notre « relation » avec Tarik entre sa vie de tête de réseaux et la mienne avec la reprise de mes gardes dès la semaine prochaine.

En attendant, Nader était en train de vider le coffre de tous nos bagages qu'il nous tendait au fur et à mesure. Les deux frères, Casper et Karim avaient déjà disparu. Je récupérais mes sacs avant de prendre la direction de mon bâtiment quand mon téléphone sonna :

- Oui, fis-je devant le numéro inconnu qui m'appelait.

- C'est moi, j'ai cassé mon ancienne puce, c'est pour que t'aies mon nouveau num.

- Comment t'as fait pour déjà acheter un téléphone, répondis-je surprise.

- On m'la acheté aujourd'hui pour quand j'rentre. J'ai pas mal de trucs à faire soir-ce et cette nuit, j'pense pas qu'on aura l'temps de s'capter, m'expliqua t-il de but en blanc.

- Ouais t'inquiètes c'est bon. J'comptais m'coucher tôt. J'vais passer chercher un truc à manger c'est tout.

- J'demanderai à un p'tit d'aller t'chercher un sandwich chez Pascal, reprit-il.

- J'vais y aller c'est bon. T'vas pas faire chier quelqu'un pour ça, argumentai-je.

- C'était pas une question. Bon j'dois y aller, termina t-il avant de raccrocher.

Je regardais mon téléphone sur le cul. Mais, j'peux encore aller me chercher à graille quand même ? M'énervai-je toute seule en appelant l'ascenseur. Je ne comprenais pas pourquoi il me faisait des manières mais j'avais tellement hâte de rentrer chez moi pour me poser que je ne fis pas plus de cas pour le moment que ça. Je défis mes affaires pour lancer aussitôt une machine à laver puis je filais sous la douche après des heures à transpirer dans la voiture malgré la climatisation des bolides que les gars avaient dû louer. Après tous mes soins cheveux, visage et corps, je sortis de là, complètement détendue. Seulement quand on toqua à la porte, une tension s'empara aussitôt de moi. J'ouvris la porte et un ado me tendit un sac plastique jaune que je reconnus aussitôt. J'hallucinais, il l'avait vraiment fait. Pascal, livraison à domicile. Le gamin était un chouf que j'avais déjà vu traîner dans les rues à l'heure où il aurait du être au lycée. Je n'étais personne pour juger mais ce genre de situation m'attristait toujours et je ne pouvais pas m'empêcher de penser que si mon père avait été là, peut-être qu'un de ses discours aurait pu remettre ce jeune dans le droit chemin plutôt que de travailler pour un « grand », et encore « grand », c'était vite dit. Je mangeai mon sandwich avec envie, en plus il ne s'était pas trompé dessus. J'aurais presque pu voir ça comme un signe. J'enflammai ensuite ma niaks au calme en profitant de la musique que j'avais mis à la télé quand des cris et des lumières bleues qui se reflétaient au plafond firent leur apparition. Mes fenêtres ouvertes m'attirèrent alors comme un aimant sur le balcon pour voir ce qui se passait en contrebas. Des voitures banalisées avec les gyros sur le toit arrivèrent de partout. Des jeunes se mirent à courir dans tous les sens. Des mamans hurlaient après leurs petits dans la rue ou aux fenêtres. Les teneurs de murs disparurent en un clin d'œil en même temps que les guetteurs continuaient de hurler. Devant le bâtiment des deux frères, je reconnus Casper et Nader déjà en plein contrôle d'identité. L'idée me vint alors d'un coup. Tarik était-il au courant de la descente ? C'était pour ça qu'il ne voulait pas que je sorte parce que si j'étais partie chercher un grec après ma douche, je me serais clairement retrouvé au milieu de tout ce bordel en bas. Je n'en étais pas sûre mais la question ne me paraissait pas déconnante non plus. Je l'appelais dans la foulée pour m'assurer que tout allait bien pour lui mais au bout de deux sonneries, il me rejeta mon appel pour m'envoyer directement sur la messagerie. Bon, il ne voulait pas me parler de toute évidence... Je continuais à guetter ce qu'il se passait en bas pendant plusieurs minutes. La manière dont ces types en uniforme traitaient les jeunes de notre quartier, me faisait grincer des dents, tant dans leurs comportements à les brutaliser ou dans leurs paroles en les insultant pour les rabaisser. Ils ne restèrent pas longtemps finalement, comme s'ils étaient là pour une raison particulière. Je terminai ma niaks toujours sur le balcon, appuyée à la rambarde, en regardant les gens sortirent de nouveau progressivement mais beaucoup moins nombreux. Une voiture s'arrêta devant le bâtiment des deux frères et je les reconnus aussitôt quand ils descendirent malgré leurs casquettes. Ils se digèrent vers Lucas et Nader encore devant. Ils s'échangèrent quelques mots avant d'entrer dans le hall. Tarik dut sentir mon regard puisqu'il leva la tête vers mon balcon. D'ici, je ne voyais pas son regard mais je gardais en tête qu'il était occupé cette nuit. Alors je jetai le cul de mon joint par dessus le garde-corps au moment où il rentrait de son côté.

Sourire à l'enversOù les histoires vivent. Découvrez maintenant