Me voilà, ou disons, me revoilà aux Tarterêts, chargée de deux grosses valises en train de regarder le soleil se coucher derrière l'une des nombreuses tours. J'aurais pu apprécier le paysage, dommage que les circonstances me laissèrent un goût amer. Malgré tout, je gardai de bons souvenirs de la cité. J'y avais grandi avec mon père et ma mère jusqu'à l'âge de 4 ans. Suite à leur séparation, ma mère m'avait prise sous le bras pour aller s'installer dans son sud natal. Mon père Vasco était resté à Corbeil, ville où il avait passé la majorité de sa vie. Il avait déménagé dans un autre bâtiment pour acheter un petit appartement au sixième étage dans le quartier des Tarterêts. C'est donc là-bas que j'avais passé tous mes étés dès l'âge de six ans. J'avais joué des journées entières au loup et à cache-cache avec les petits de mon âge en bas du bâtiment. J'avais le souvenir aussi d'avoir passé des après-midi entiers à jouer à la poupée avec des copines chez notre voisine de palier Hafida qui gardait d'autres enfants lorsque mon père travaillait. Moi qui était fille unique, j'avais adoré être entourée de copains du matin au soir. Ce que je préférais par dessus tout lors de mes étés à la cité, c'était les longues balades en voiture avec papa dans sa voiture de collection : une Ford Mustang de 1967 noire et blanche. Je sentais encore l'odeur du cuir à peine montée ; et je revoyais encore mon père batailler pour installer le siège enfant à l'arrière, souffler en jurant pour finalement l'abandonner sur le trottoir et me laisser monter devant. La ceinture de sécurité me coupait sous le bras mais qu'importe j'étais à côté de papa. On se souriait, il faisait vrombir le moteur au démarrage sous mes éclats de rires pour aller au parc ou tout simplement acheter une glace que je devais absolument finir avant de remonter dans la voiture, le chocolat ne faisant pas bon ménage avec le cuir. Le ronronnement du moteur m'avait bercé de mes six à douze ans.
Après, les choses s'étaient légèrement gâtées. Été 2000, j'étais une pré-ado en quête d'identité, à fleur de peau et mal à l'aise dans son corps. J'étais en bas du bâtiment avec ma copine Ajda, on discutait pendant qu'elle me faisait des tresses. On avait l'habitude toutes les deux de se retrouver en bas de chez elle pour discuter, faire les grandes. Le peu de confiance que j'avais, avait réduit en miettes quand un groupe de garçons de notre âge était sorti du hall pour aller faire leur foot quotidien :
- La pétasse blonde n'a pas compris qu'elle devait mettre des soutif maintenant, kehba va!
Et tout le monde avait éclaté de rire en continuant son chemin avec des « bien joué Tarik! », « tu l'as tuė là ! »
Je me souvins avoir ressenti une honte indescriptible, n'ayant même pas encore remarqué que mon corps commençait à changer. J'étais rentrée en pleurs et mon père m'avait demandé de lui raconter tout de suite ce qu'il s'était passé. Au mot « kehba », papa s'était levé d'un coup, m'avait prise la main pour foncer au bâtiment d'en face pour sonner chez quelqu'un. J'étais apeurée à l'idée d'avoir fait quelque chose de mal. La porte s'était ouverte sur un homme du même âge à peu près que lui.- René, désolé de débarquer à l'improviste, j'peux te parler ? Avait dit mon père d'un ton sec.
Surpris, le dit René nous avait laissé entrer chez lui puis mon père avait enchaîné direct. J'ai oublié leur conversation mais le résultat étant que ce monsieur avait appelé ses fils à rentrer pour me présenter des excuses. Je crois pourtant que Tarik aurait préféré se couper la langue mais la pression du regard paternel avait eu raison de lui. On ne se connaissait pas tellement finalement. On avait joué ensemble avec son frère et d'autres enfants avant que je déménage, c'est-à-dire avant mes quatre ans. À cette époque, nous étions que des gamins après tout. On ne faisait pas de distinction entre nous que ce soit sur les vêtements, la couleur de peau et le fait d'être un garçon ou une fille n'avait pas d'importance. En grandissant, tout avait bien évidemment changé. Le poids de la société, des préjugés et du quartier avait écrasé notre naïveté jusqu'à l'enterrer bien profond.
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Sourire à l'envers
FanficDe retour par la force des choses aux Tarterêts, Elle va se construire, se détruire entourée des meilleurs comme des pires. Le Zoo tord l'âme, pas que la sienne.