Les cerisiers fleurissaient avec un peu d'avance, cette année-là. Rose, blanc, crème – les couleurs de leurs pétales se renversaient sur la ville de Kobe avec la légèreté si caractéristique du printemps. C'était un printemps doux et langoureux, digne d'une carte postale ; un printemps que n'importe qui, même jusqu'au plus bougon des japonais, pouvait apprécier du plus profond de son cœur. N'importe qui... à l'exception de Nomura Mahiru.
Des pommettes roses entre deux courtes mèches de cheveux châtains, les yeux brillants de larmes aux iris verts rehaussés par la luminosité aveuglante du soleil, le bout du nez frémissant au gré des caresses du pollen. Elle pinça les lèvres, puis ferma les paupières. Une, deux, trois secondes... Et la lycéenne éternua dans un mouchoir en papier.
Foutues allergies.
— Ça va aller, Nomura-san ?
Mahiru tourna un regard confus vers la voix qui l'avait apostrophée, sans pour autant être capable de reconnaître sa propriétaire entre les larmes qui lui troublaient la vision par intermittence, mais elle acquiesça machinalement.
— Hum, ça devrait passer une fois à l'intérieur, t'en fais pas. On y retourne ?
Un énième éternuement lui chatouilla un instant les narines, même si elle le réprima avec difficulté avant de pousser un soupir las. C'était l'avant-dernier jour des vacances, elle avait ses règles, et ses allergies au pollen lui mettaient la misère à chaque inspiration teintée d'odeur florale ; la jeune fille aurait donc largement préféré se faire piétiner par une horde d'éléphants en furie plutôt que d'être là, à la porte du gymnase de son lycée, pour regarder un match dont elle n'avait pas grand-chose à faire.
Or les faits étaient là. Qui disait rentrée, disait début de saison pour les clubs sportifs d'Inarizaki – saison inaugurée par un match amical entre les équipes de volley masculine et féminine, à savoir les deux têtes de gondole du lycée. Et bien qu'anodine, cette rencontre permettait aux anciens cadets de faire leurs preuves devant les étudiants qu'ils représenteraient pour l'année scolaire à venir, et de montrer qu'ils étaient dignes de tout ce que leurs senpai leur avaient légué. Oui, en tant que reporter sportive de l'Inarizaki Today, Mahiru se devait de ne pas manquer ça.
C'est pour cette raison que l'adolescente s'efforça de reléguer tous ses soucis en arrière-plan, pour ensuite pénétrer dans le gymnase d'un pas décidé. Plus vite ce match serait fini, plus vite elle pourrait rentrer chez elle.
Ce ne fut pas chose aisée. Tantôt déconcentrée par ses propres reniflements, tantôt aveuglée par les larmes qui s'échappaient malgré elle de ses yeux, Mahiru peina à suivre le match. Elle s'évertua néanmoins à prendre des notes – un peu illisibles, elle en convenait – de tout détail croustillant qui pourrait défrayer la chronique. Car son article sur cette rencontre ferait la une du prochain numéro, sans nul doute.
La tension était à son comble. Vive. Croissante. Insupportable, même. Les deux premiers sets avaient filé comme le vent, chacun gagné par une équipe différente et laissant derrière eux une excitation mêlée de frustration entre les effluves des sprays d'arnica. Et vite, bien trop vite pour l'esprit de Mahiru embrumé par le pollen, la troisième manche se trouva déjà bien entamée. En contrebas, ruisselants de transpiration sous la lumière crue des néons du gymnase, les joueurs se déchaînaient sur ce dernier set. Sous la houlette de Nagano Ritsuka, l'équipe féminine menait au score, sur un très serré 24 à 22 qui ne les séparait de la victoire que d'un unique point – ou presque.
— Et c'est un nouveau point pour l'équipe masculine ! grésilla la voix du président du club d'éloquence, ici commentateur sportif improvisé. Ils reprennent donc le service, avec nul autre que Miya Atsumu aux commandes !
L'anticipation se leva dans l'immense pièce à ce simple nom. Personne à Inarizaki n'ignorait les talents de son serveur vedette – talents reconnus à un niveau national, jusque sur les bancs des équipes professionnelles junior – et tous appréhendaient chacun de ses mouvements lorsque la balle lui tombait entre les doigts. La tension était telle que le gymnase entier se murait dans le silence sitôt qu'il serrait le poing, suspendu à sa main comme l'humanité à la volonté d'un seul dieu. Et le numéro 1 immaculé sur le maillot qu'il portait depuis peu n'était pas sans effet ; c'était lui le capitaine désormais, celui qui porterait toute l'équipe vers la victoire à la seule force de ses épaules.
Aussi, c'est dans un silence de cathédrale que le gymnase entier l'observa fermer les yeux pour se concentrer. Mahiru retint sa respiration, alors même qu'une particule de pollen venait lui effleurer désagréablement le bout du nez – ce n'était clairement pas le moment. Elle connaissait très bien les exigences du volleyeur lors de ses services, tout comme ses tendances soupe au lait qui avaient fait le tour du lycée au cours de ses deux premières années. Et là, son service ne pouvait pas être raté ; s'il échouait à marquer, l'équipe féminine remporterait le point et le dernier set. Oui, une incroyable pression reposait sur ses épaules, que son premier match en tant que capitaine exacerbait au plus haut point.
Autour de lui, le silence régnait non plus en roi, mais en empereur, si bien qu'on entendait les rebondissement de la balle sur ses paumes, voire le sifflement de l'air lorsqu'elle tourbillonnait entre ses doigts. Et la balle n'était pas la seule à danser. Le pollen aussi dansait inlassablement, autour du visage de Mahiru comme s'il n'était attiré que par elle quand elle le fuyait. La demoiselle se dandina imperceptiblement sur son siège, incommodée. Il lui fallait tenir encore quelques secondes. Plus bas, Atsumu sembla atteindre l'état de concentration qu'il cherchait à avoir car il lança la balle à la verticale, prêt à bondir plus haut que jamais. Son mouvement fendit l'air, transcendantal, à faire trembler les fondations du bâtiment. Comme le souffle d'une bombe, son aura s'étendit à l'intégralité du gymnase, déferla sur les abords du terrain et jusqu'au sommet des gradins. Et, à l'avant-dernier rang presque vide où se tenait la reporter de l'Inarizaki Today, tout céda.
Là, à l'instant même où Miya Atsumu s'élançait vers le ciel pour frapper dans la balle et l'expédier à l'autre bout du terrain, Nomura Mahiru éternua. Son couinement irrépressiblement aigu franchit la barrière de ses lèvres sans qu'elle ne parvienne à le retenir, pour résonner à travers le gymnase, pour rebondir sur chacun des murs de la pièce, pour être entendu de toutes les âmes ici présentes. Toutes, y compris Atsumu, dont les muscles tressaillirent en plein vol.
La balle vola à travers la pièce comme un boulet de canon. Au-dessus du filet, entre les bras des joueuses qui tentaient de l'arrêter, par-delà la ligne de fond du camp adverse.
En touche.
Point à l'adversaire.
Troisième set perdu.
Défaite de Miya Atsumu à son premier match en tant que capitaine d'Inarizaki.
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Salade de Fruits |HQ!!|
FanfictionMahiru ne s'est jamais intéressée à Miya Atsumu. Elle ne le déteste pas, elle ne l'admire pas non plus, rien d'extrême. Il ne lui inspire que les sentiments qu'on a habituellement à l'égard d'un camarade de lycée un peu mignon et populaire : un ou d...