Chapitre 16 ⋅ En eaux troubles

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Dire que Mahiru était médusée relevait de l'euphémisme. Il lui avait fallu de longues minutes pour assimiler la chose – Miya Atsumu lui avait-il vraiment donné une pâtisserie ? – et au moins le double de temps pour se résoudre à la manger, si méfiante qu'elle avait même questionné la comestibilité de la nourriture. Était-elle au moins encore bonne ? L'avait-il empoisonnée avant de venir ? Des questions auxquelles elle n'avait alors trouvé aucune réponse, même en l'examinant sous toutes les coutures à l'abri de son pupitre : impossible, donc, de savoir si le volleyeur se payait encore une fois sa tête. Et de toute façon, rongée par la faim comme un loup au cœur de l'hiver, en plein chagrin d'amour après les révélations de Murao, la demoiselle n'avait plus hésité très longtemps avant de l'engloutir sans autre forme de procès.

Le taiyaki s'était avéré plus que délicieux, sucré et moelleux comme un nuage, un régal pour son estomac affamé qui s'y était raccroché pour tenir le reste de l'après-midi – un mets digne d'un gourmet comme Miya Osamu, qui avait certainement dû traverser la moitié de la ville pour aller le chercher. Aussi, c'est avec une pensée presque désolée pour lui qu'elle l'avait longuement savouré, même si une question subsista à l'égard d'Atsumu, supplantant sa compassion pour un des jumeaux, sa méfiance pour le second, et dans une certaine mesure, même, son cœur en mille morceaux.

Pourquoi donc cet idiot avait fait ça ?

Ils ne s'appréciaient pas, et ne se supportaient pas davantage. Leurs échanges étaient électriques, chargés de haine et d'exaspération ; c'était même un miracle s'ils s'adressaient la parole sans s'insulter. Même avant qu'Atsumu ne lui offre la pâtisserie – ou plutôt ne la dépose au coin de sa table au passage – les deux adolescents s'étaient disputés pour la énième fois, dans un dissonant mélange d'agacement et de lassitude qui ne l'avait pas plus surprise que cela. Alors pourquoi ?

— T'es vachement silencieuse, ce midi, fit remarquer Kinako, dont la voix moqueuse se fraya un chemin dans le nuage de ses pensées. J'ai l'impression de parler à un tronc d'arbre.

Mahiru cligna des yeux, hébétée par le brutal retour à la réalité, et se redressa sur sa chaise. Les deux jeunes filles s'étaient retrouvées dans la salle de classe de la reporter pour déjeuner, après une matinée chargée en apprentissage de kanjis qu'elle ne se voyait pas utiliser un jour et de pensées intrusives centrées tant autour de ce taiyaki – et par extension sur celui qui le lui avait offert – qu'autour de sa peine de cœur. Oui, il avait été difficile de rester concentrée plus de deux minutes. Ici aussi, visiblement, quand elle percuta quelques secondes après le sens de sa phrase.

— A-ah ? Pardon, je... Mais je t'emmerde en fait.

— Désolée, gloussa sa meilleure amie, avant d'engloutir un de ses beignets de calamar sans autre forme de procès. C'est juste que d'habitude t'es en boucle sur Murao, comme quoi il est « super mignon avec sa bouille de chaton » patati, patata... !

Ce disant, Kinako eut même l'audace d'imiter sa voie aiguë et son ton d'adolescente frivole, à tel point que, prise de court, la concernée en oublia presque sa peine pour lui jeter le furoshiki de son bento au visage. Son amie esquiva en riant, avant de poursuivre comme si de rien n'était :

— Bref, d'habitude c'est Murao, et là c'est le silence radio, les profondeurs de l'océan arctique.

— Hum, c'est bon, désolée... c'est juste que je suis de corvée avec l'autre là, Atsumu, grommela Mahiru après avoir ramassé son tissu, peu désireuse de s'étaler sur l'autre raison de son étourderie.

— Ah, on n'est plus sur « abruti », maintenant ?

Nouveau coup d'œil assassin par-dessus son bento, qui fit glousser la destinataire sans qu'elle ne se laisse impressionner pour autant. Cette dernière pinça les lèvres, songeuse :

Salade de Fruits |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant