Chapitre 27 ⋅ Une lueur dans les ténèbres

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Cinq jours s'écoulèrent sans la moindre nouvelle de la part de Kinako. Non pas qu'elle eût disparu de la circulation, loin de là ; la rédactrice en chef demeurait bien présente au lycée, ses souliers en cuir toujours sur l'étagère du genkan avant les autres et sa silhouette recroquevillée sur son pupitre jusqu'à tard dans l'après-midi. Même au club, si elle n'y passait qu'en coup de vent aux rares moments où le local était vide de tout occupant, la responsable imprégnait les lieux de sa présence : avec des post-it déposés soigneusement sur les claviers, avec des mails imprimés de Harumata-sensei qui résumaient les tâches du jour et avec des petits mots glissés à Tatsuya, qui les répétait innocemment le soir venu sans se douter de l'effet que ça pouvait avoir sur son aînée.

Mahiru nageait dans la confusion. À plusieurs reprises, l'adolescente avait tenté d'intercepter subtilement sa meilleure amie à l'heure du déjeuner ou au temps de club, pour lui demander et essayer de comprendre les raisons de cette distance soudaine, mais elle n'avait essuyé que de cuisants échecs. Même ses rares messages tapés désespérément dans la pénombre de sa chambre ne reçurent pas de réponse, ou alors de très brèves phrases remplies de froideur, aux antipodes de toute la familiarité qui caractérisait d'ordinaire leur relation. Elle n'avait pas osé insister, tant par peur de passer pour un pot de colle que par volonté de lui laisser de l'espace. Pourtant, les faits étaient là : Kinako s'évertuait à l'éviter, et elle ne comprenait pas pourquoi. Et quand bien même Tatsuya lui tenait toujours compagnie au club, quand bien même Kisara refusait de la laisser seule pour déjeuner, quand bien même les quelques cadets qui la connaissaient s'empressaient de la saluer dans les couloirs, il fallait bien reconnaître que la reporter se sentait un peu abandonnée.

Au matin du sixième jour, la situation ne s'était pas un chouïa améliorée. En poussant la porte du local du club, Mahiru trouva sur son poste informatique un de ces post-it mauves qu'elle avait appris à redouter avec le temps, et non sans raison ; Kinako y avait grifonné quelques excuses rapides pour son absence au club cette semaine, avant d'indiquer le travail du jour sans plus de cérémonie. La brunette le contempla longuement, ce post-it, peut-être dans l'espoir de voir apparaître un message caché, ou un petit mot personnalisé – n'importe quoi capable de dissiper le nuage d'émotions diverses qui se refermait cruellement sur sa poitrine au fil des secondes à le lire et le relire. Car si à une époque elle s'était dit que ça faisait mal d'entendre Murao confirmer qu'il était en couple, cette histoire, ces maudits post-it de couleur mauve qui contenaient à eux seuls toute l'attention que sa meilleure amie daignait lui accorder ces derniers temps, ça faisait encore plus mal. Alors dans un soupir censé exhaler ses émotions de plus en plus vives, la reporter se contenta de refermer délicatement la porte plutôt que de les laisser exploser, pour ensuite se diriger vers sa salle de classe.

Il restait encore un peu de temps avant le début des cours, mais beaucoup de lycéens arpentaient déjà les couloirs – principalement des élèves de troisième année déjà occupés à préparer les examens trimestriels – quand bien même les professeurs se trouvaient encore loin. Aussi, Mahiru ne fut pas si surprise de trouver Miya Atsumu déjà dans la classe, en train de faire l'andouille comme à son habitude :

— Vas-y, envoie, envoie ! s'exclama-t-il à l'intention d'un Saito Hiroto hilare, depuis son pupitre sur lequel il était assis.

— Si tu l'attrapes pas, tu me dois une boîte de mochis !

— Vendu !

Et l'ami du volleyeur envoya, ainsi qu'il l'avait dit, une trousse en tissu faisant office de ballon. Le projectile traversa la pièce jusqu'à atterrir entre les mains habiles d'Atsumu, qui ricana sans retenue sous les yeux atterrés de la déléguée de classe. Il jongla une, deux, trois fois avec, avant de la renvoyer sur un nouveau défi tout aussi gourmand. Mahiru les observa un instant, blasée, avant de s'engager dans les rangées pour rejoindre sa place sans chercher à se faire remarquer – elle n'était pas d'humeur à supporter les débilités de son voisin de classe. Ça aurait été trop beau, cependant, si la déesse du destin avait respecté sa volonté. Car à peine se fut-elle laissé choir sur sa chaise, que la voix de Hiroto retentit de nouveau à travers la classe, étonnamment alerte :

Salade de Fruits |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant