Chapitre 19 ⋅ Dans la renardière

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Mahiru n'avait pas souvent mis les pieds dans le gymnase. Non sans raison, à vrai dire : à chaque fois qu'elle en avait franchi le seuil, ça s'était rarement bien fini. Qu'il s'agisse de ses allergies, d'une bêtise de Miya Atsumu, ou de ses propres emportements qu'elle peinait toujours à contrôler, la demoiselle gardait un souvenir très mitigé de ses passages dans les locaux des équipes de volley. Aussi, c'est un brin hésitante que ce soir-là, elle remonta le sentier à pavés de la cour arrière, dans les pas de beaucoup d'autres élèves qui ne lui portaient pas la moindre attention.

Deux silhouettes se découpaient dans l'encadrement des portes du gymnase numéro trois, lorsque l'adolescente en arriva à proximité. Si, en tendant le cou, elle parvint à reconnaître celle de Suna Rintaro, à sa tignasse sombre qu'elle ne connaissait que trop bien pour l'avoir vue plus d'une fois somnoler sur sa table aux interclasses, la seconde demeurait inconnue au bataillon. L'espace d'un instant frappée de curiosité, Mahiru s'arrêta de marcher pour les épier. C'était une élève de deuxième année, pas très grande par rapport à son interlocuteur, aux cheveux d'ébène à longueur d'épaules, qui s'agitait dans tous les sens comme une abeille en saison de butinage.

Il fallait être dans le déni pour ne pas comprendre la nature de leur relation, pour ne pas voir leurs doigts discrètement entrelacés à l'ombre des arbres, pour ne pas entendre ces rires frivoles qui dépassaient leurs lèvres et s'envolaient vers le ciel. Ils semblaient dans leur bulle, leur propre monde qui n'appartenait qu'à eux et ne s'ouvrait à personne d'autre. Aussi, Mahiru se demanda si elle n'avait pas rêvé quand le regard perçants de Suna dépassa celle qui était jusque-là au cœur de son attention, pour se poser sur elle avec curiosité. Elle se retourna même pour vérifier que ce n'était pas quelqu'un d'autre que le volleyeur regardait, avant de les rejoindre à pas comptés :

— Désolée, murmura-t-elle en arrivant à leur niveau, je voulais pas vous déranger.

— C'est bon, j'allais partir de toute façon, sourit la fille en réponse, en dépit des rougeurs qui peignaient ses pommettes comme celles de Suna. Tu es Nomura-senpai, du club de journalisme ?

Une grimace se fraya un chemin sur les lèvres de la brunette, qui acquiesça doucement, un brin mal à l'aise tant face à l'honorifique empli de respect qu'à sa possible notoriété – d'autant que le nom de son interlocutrice lui était toujours inconnu. Pourtant, ces grands yeux azurs, ce visage en cœur au teint de pêche et ces cheveux d'ébène ne lui paraissaient pas si étrangers...

— Ah, visiblement je suis connue comme le loup blanc, ici...

— C'est surtout qu'Atsumu-senpai parle souvent de toi, répondit pensivement la demoiselle, un index sur la joue. En bien ou en mal, après, c'est question d'interprétation...

— Hum, c'est lui que tu viens voir, d'ailleurs ? s'enquit Suna, comme pour dévier la conversation de ce sujet notoirement sensible.

L'attention de Mahiru revint sur lui, et il lui fallut quelques secondes pour réagir – ou plus exactement trouver quoi répondre. Car ce n'était pas totalement faux, mais ça n'était pas totalement vrai non plus. Elle venait tous les voir jouer, certes principalement pour éviter de se retrouver face à Murao dans le local de son club, mais ça ne se limitait pas à Atsumu. De plus, comment son agaçant voisin de classe avait-il présenté la chose à ses coéquipiers, cela restait un mystère. Aussi, dans le doute, elle préféra hocher la tête.

S'il la scruta un instant de son regard impassible, Suna ne chercha pas à savoir et passa la tête dans le gymnase dans la seconde.

— Capitaine, t'as de la visite, s'exclama-t-il à l'intention du concerné, dont la voix lointaine se fit entendre jusqu'à l'extérieur du gymnase. Et pas des moindres en plus, prépare ton parapluie.

Salade de Fruits |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant