Chapitre 18 ⋅ La onzième plaie d'Egypte

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À l'instar des wagons du Shinkansen à travers la campagne nippone, les jours de la semaine défilèrent les uns après les autres ; trop furtifs pour être observés en profondeur, trop indistincts pour être comptés, trop chargés pour s'en détourner. Emportée dans leur cadence qu'elle voyait défiler sans pouvoir les arrêter, Mahiru se sentit aussi impuissante que la génisse paissante, qui le regarde lui passer sous le museau et n'a que le temps de cligner de l'œil avant de le voir disparaître au bout de son pré. Et à la veille de la Golden Week, un vendredi auréolé d'un soleil grandiose, elle avait la folle impression d'avoir fait un saut dans le temps.

Ça avait eu du bon, quelque part ; l'adage d'un temps guérisseur de blessures s'était confirmé au fil des nuits. Soir après soir, son cœur en peine avait refermé les siennes, colmatant les fêlures au fond tout juste superficielles, et banni de ses pensées fatiguées tout ce qui avait trait de près ou de loin à Murao Ryouhei. Ce ne serait pas à cent pour cent efficace, elle en était bien consciente – après tout, on n'oublie pas des mois d'admiration secrète en un claquement de doigts. Malgré tout, Mahiru demeurait fermement convaincue qu'en ne pensant ni à lui, ni aux sourires qu'il lui décochait désormais à chaque fois qu'il la croisait dans les couloirs, ni à son passage prévu le soir même au local de l'Inarizaki Today pour remettre un papier à leur professeur référent... elle pourrait enfin passer à autre chose.

C'est pour cette raison que la reporter calma au plus vite les divagations de son cerveau, pour se concentrer sur la voix suraiguë de sa vieille professeur d'histoire, Hiraoka-sensei. La pauvre dame était si âgée qu'elle donnait l'air d'avoir vécu elle-même les événements qu'elle narrait solennellement, et il n'était pas rare de la voir agrémenter son cours de petites anecdotes sur sa vie personnelle, qui savaient toujours éveiller l'attention de ses élèves. Ce jour-là, toutefois, échappait à la règle, car il s'avérait difficile pour Mahiru et ses camarades de classe de rester concentrés sur le cours – et ce n'était pas faute de sujet intéressant. Hiraoka-sensei leva les yeux de son manuel pour la dixième fois depuis le début de l'heure au moins :

— Miya-kun, Saito-kun... soupira-t-elle en secouant la tête, sincèrement usée par les bavardages incessants des principaux concernés. Si vous ne voulez pas que vos successeurs, d'ici quelques années, étudient comment une professeur proche de la retraite a subitement perdu patience et jeté deux de ses élèves par la fenêtre, je vous invite à faire vœu de silence dans la minute.

Un silence flotta un instant dans la pièce, comme tous les élèves assimilaient les mots de leurs professeur, avant qu'une vague de rires discrets ne traverse la classe en même temps que le volleyeur pivotait sur sa chaise en s'excusant. Le cours reprit bien vite, mais nonchalamment accoudée à sa table, le menton au creux d'une main, Mahiru n'y porta pas tout de suite attention, s'attardant plutôt sur la chevelure dorée de son Némésis tout désigné.

Miya Atsumu et elle ne s'étaient plus adressé la parole au cours des derniers jours ; ils ne s'étaient pas disputé non plus. Une paix fragile semblait s'être installée entre eux au terme de leur longue – et troublante – heure de corvée de la semaine précédente. Outre l'instant de flottement, de relâchement même, qui avait eu lieu lorsqu'ils avaient nettoyé le tableau, cette heure avait eu au moins le mérite de chasser de son esprit les images du taiyaki sur sa table – même si, sans mentir, il arrivait encore qu'elle revienne la hanter lors de ses moments de repos. Comme à ce moment-là, où son regard se perdait sur lui bien malgré elle, et que son esprit partait à la dérive. Comment son opinion sur lui avait-elle encore une fois pu changer au cours de ces derniers jours ? Jusqu'à quand jouerait-il avec ses nerfs ? Et pourquoi continuait-elle de l'observer, comme si à force de le fusiller du regard, elle le verrait se transformer en pierre ?

Cette seconde d'égarement prit brusquement fin lorsqu'il signa, bien malgré lui, son arrêt de mort – et celui de Mahiru par la même occasion. Comme elle regardait dans sa direction, la brunette eut tout le loisir de le voir se retourner à nouveau vers Saito Hiroto, son compagnon de bêtise, pour une remarque qui les fit tout les deux ricaner comme des cochons. L'autre répondit par une idiotie au moins aussi grosse que la première, et déjà ils étaient repartis dans leurs murmures rieurs qui leur avait valu une réprimande à peine deux minutes plus tôt. La sentence ne tarda pas à tomber, en même temps que le cœur de l'adolescente :

Salade de Fruits |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant