Chapitre 14 ⋅ Du bout des doigts

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Murao Ryouhei attendait au pied d'un saule pleureur dont les branches pliaient tellement sous leur propre poids que c'était un miracle que l'arbre ne s'effondre pas sur lui-même. Son feuillage et ses lianes s'écrasaient autour du tronc avec lourdeur, sur un parterre que l'absence de soleil avait depuis longtemps dénué de pelouse, qui donnait à l'ensemble des airs de cabane de fortune où bien des lycéens aimaient à se réfugier pendant les grosses chaleurs. Ce jour-là, cependant, les élèves d'Inarizaki boudaient le vieux saule et lui préféraient le doux soleil d'avril, dont les rayons peinaient à réchauffer l'air. Aussi, c'est sans surprise que le capitaine de l'équipe de base-ball entendit Mahiru arriver avant de la voir, par ses pas précipités qui résonnaient sur la terre sèche du jardin arrière.

— Désolée, lâcha-t-elle dans un souffle, pantelante, j'ai eu un petit contretemps sur la route.

Ce disant, elle eut une pensée peu amène pour ledit contretemps, qu'elle avait abandonné dans le couloir après lui avoir demandé de rester loin de sa personne. Atsumu n'avait pas insisté, se contentant d'une œillade blasée à son intention avant de se détourner d'elle sans plus d'histoire pour disparaître dans la salle de classe. Toutefois l'agacement persistait, aussi résistant qu'une mauvaise herbe, même quand un sourire poli étira les lèvres de Murao et l'éblouit bien malgré elle.

— Pas de souci, murmura-t-il de cette voix douce qui l'avait hantée pendant des mois. Tu es donc Nomura, c'est ça ?

Elle opina du chef, trop impressionnée pour prononcer le moindre mot. C'était étrange de sentir enfin son regard sur son visage, d'entendre sa voix s'élever à son intention, mais ça n'avait rien de désagréable – au contraire, à vrai dire. La reporter était aux anges. Dans un geste retenu, presque timide, elle désigna d'un geste du menton le vieux banc en pierre près duquel ils se tenaient, dévoré par la mousse.

— On... on s'installe ?

Son regard sombre coulissa vers l'endroit qu'elle lui montrait, et il acquiesça dans un sourire amical. Son bloc-notes contre la poitrine, comme si cela pouvait la protéger de tous les maux du monde, Mahiru ne put s'empêcher de l'observer avancer à petits pas, puis prendre place avec une grâce que jamais elle n'aurait cru voir chez un de ses camarades de classe masculins. Enfin seulement, le garçon leva les yeux vers elle, une moue étonné sur le bout des lèvres :

— Tu ne t'assois pas ?

— Oh euh... si si, pardon, bégaya-t-elle en se ressaisissant, avant de se laisser tomber à ses côtés sur le banc. J'attendais juste que... que tu t'assoies en premier.

— Comme tu le sens. Au fait, ça ne te gêne pas que je mange mon bento en même temps ?

Aussitôt la brunette secoua la tête, la lèvre inférieure prisonnière de ses dents dans une manière un peu désespérée de retenir son sourire béat – elle vivait un rêve éveillé.

— Non non, vas-y, t'inquiète, murmura-t-elle à son intention. C'est la pause déjeuner, après tout.

— C'est pour ça que tu ne manges pas, toi ? s'étonna l'adolescent, en ne la voyant pas sortir de bento.

— J'ai déjà mangé avant de venir, t'en fais pas.

Mensonge, mensonge... Sans doute la pire idée qui lui soit venue à l'esprit, à vrai dire ; pourtant la reporter ne se voyait absolument pas faire cette interview avec Murao Ryouhei en mangeant. Entre le risque de se tacher ou celui de rater sa bouche comme elle l'avait fait dans sa précédente interview avec Atsumu, c'était impensable. Ces manières de midinette étaient fort ridicules, elle en convenait, mais c'était plus fort que sa volonté.

Salade de Fruits |HQ!!|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant