Le prêtre paraissait plus vieux que jamais face au chevalier. L’homme à l’armure lui semblait sans âge et plein de vigueur. Comme si la lame à son côté resterait éternellement redoutable, et que peu importeraient les affres du temps.
Le jeune garçon debout aux côtés de l’homme d’Église n’avait jamais vu une personne dégager autant de prestance, ni avoir un regard plus fier et féroce. Il se força à ne pas baisser la tête quand les yeux d’acier se posèrent sur lui et resta aussi impassible qu’il le put, déterminé à faire taire toute l’angoisse qui lui cisaillait le ventre.
Les deux hommes parlaient de lui comme s’il n’était pas présent.
Saga, car tel était le nom du jeune garçon aux cheveux châtains ébouriffés, restait silencieux, son petit béret bleu-gris entre ses mains. Le prêtre était d’une rare politesse et mesurait chacune de ses paroles.
Le château de Seiros était un endroit immense et terrifiant, au toit d’ardoises sombres, et ses pierres encore plus. Les murs « décorés » d’écus d’épées et de portraits de chevaliers ayant accompli divers exploits.
Un vent froid portant avec lui une odeur d’humidité passa par la fenêtre. Le bruit de l’orage et du martèlement de la pluie se faisait plus violent. Saga jeta un rapide coup d’œil autour de lui. Un bureau en bois, des rouleaux de parchemins, un encrier, une étagère pleine de livres. Une bûche craqua dans l’âtre, sortant le jeune homme de ses rêveries dans un sursaut.
— L’église ne peut plus subvenir aux besoins de tous les orphelins. Beaucoup meurent de faim ou de maladie. Nous avons réussi à donner une centaine d’enfants, mais celui-ci va avoir treize ans et personne ne voudra l’adopter. Mais il a une bonne condition physique. Et vous recherchez des recrues, m’a-t-on dit.
Le chevalier se servit silencieusement un verre de vin. Puis il but une gorgée. Aucune expression sur son visage. Il fixa alors le prêtre, comme si soudain il se rappelait sa présence.
— Père Gabriel, retirez-vous. Je veux m’entretenir avec le gamin. Seul à seul.
L’homme d’église s’inclina bien bas, jetant un coup d’œil sur le coin du bureau où se tenait une petite bourse en cuir bien charnue, puis il se retira, sans même regarder l’enfant qu’il espérait vendre à bon prix et refermant la grande porte de bois clouté derrière lui. Le silence régna sur la salle, de longues minutes. Cinq ? Dix ? Quinze ? Saga n’aurait su le dire. Il n’osait ni cligner des yeux ni avaler sa salive.
— Choisis une épée sur le porte-lames au mur, et remets-toi en place ici, ordonna la voix profonde du chevalier.
Le jeune garçon s’exécuta. De tout évidence, il n’avait guère le choix. Il choisit une belle lame en forme de feuille allongée, à la poignée bleu royal et au pommeau d’argent.
— Bon choix, cette épée est très maniable et légère, elle m’a été offerte par le roi des elfes de la Maison des cerfs d’or de la cité d’Ephleuraï.
— Offerte par les elfes ! s’extasia-t-il, parlant pour la première fois, l’émerveillement ayant fait taire la peur.
— Ainsi tu as une langue, je commençais à douter. Oui, les elfes. Ils ont une grande cité fortifiée à l’ouest. J’ai également combattu aux côtés des nains lors de la bataille de Dragomor, vu les fougueux centaures du rempart, affronté les démons de l’Hadès. Et la plaque que tu vois là-bas est une écaille de dragon sortie de la forteresse d’acier. Le monde est bien plus vaste que le monastère où tu vis.
— Je verrai tout cela aussi ?
— Pour l’instant je ne peux te le jurer, mais nous verrons dans quelques instants. Pour tout homme, l’avenir est incertain, peut-être vivras-tu de grandes choses . Je vais tester tes aptitudes. Maintenant, silence veux-tu. Tiens-toi en garde.
Le cavalier saisit un long bâton et attaqua l’enfant à plusieurs reprises. Sans surprise, Saga ne parvint à contrer aucun coup. Mais il arrivait à peu près à anticiper les attaques. Il lui manquait technique, vitesse, et bien sûr, entraînement. Après plusieurs échanges rudes, le chevalier posa son bâton et croisa les bras.
— Impressionnant , très impressionnant. Tu as effectivement de belles qualités physiques, un bon équilibre des jambes, et des bras solides.
— Merci, Seigneur.
— Jamais tu n’avais croisé le fer avant ?
— Non, Seigneur, répondit le garçon avec une once de fierté.
— Morbleu, voici donc un diamant brut et informe qui ne demande qu’à être poli et taillé. Mais si bien travaillé, il deviendrait pour sûr un chef-d’œuvre d’orfèvrerie, se parla à lui-même l’homme d’armes. Père Gabriel ne m’avait guère menti, tu es vif et volontaire. Bien alimenté et entraîné, qui sait ?
— Qu’allez-vous faire de moi ? Que vais-je devenir ? demanda le jeune garçon.
— Ce choix te revient. Épéiste sacré est une vocation, non une obligation. Ce n’est ni à moi ni au prêtre de décider de ton avenir. Si tu souhaites rester ici, je t’accepte comme élève. Sinon, je dirai que je t’ai refusé. Par contre, je te préviens, un épéiste voue une obéissance totale à son maître. Et l’entraînement est plus difficile que tu ne peux l’imaginer, je ne garantis pas ta survie. Et si jamais tu parviens au bout de ces sept années à survivre et passer l’épreuve, tu te seras forgé un nom, une âme, un corps, qui feront de toi l’un des êtres les plus importants de ce monde.
Saga baissa pour la première fois les yeux. Il se remémora sa vie à l’orphelinat. Le regard méprisant des marchands ou des bourgeois sur le bâtard orphelin. Les soirs sans repas, car les corvées étaient jugées mal accomplies, les corrections à coups de ceinture ou de batte, les longs labeurs sans une once de reconnaissance. Le destin de l’insignifiance. Subir tout cela et pour quel avenir adulte ? Au château, il jouerait sa vie. Mais la récompense était un destin, un statut. Il serait quelqu’un.
— Je souhaite rester, lança-t-il en se redressant fièrement. Je vivrai et deviendrai un grand chevalier.
— Très bien, opina le chevalier, souriant pour la première fois. Tu es donc accepté. Prends cette bourse d’or et donne-la au père Gabriel, c’est la somme convenue de ton achat si tu étais retenu, et dis-lui qu’il peut s’en aller. Puis reviens me voir ici. Tu es à partir de cet instant un apprenti du château de Seiros.
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Epeistes : Les Chevaliers de Seiros
FantasyŒuvre que je dédicace à une personne cher. Helas la vie me l'as retirer un triste mois de décembre. Comme quoi le destin ne nous laisse pas forcement libre arbitre. Pour elle voici, les épéistes de Seiros, des combattants légendaires, aux aptit...