Les gens s’affairaient autour du carrosse de Monte Pierres. Dès midi sonné, il prendrait la route.
Avant cela, le repas d’adieu. L’épéiste déjeuna pour la dernière fois avec les gens de sa maison. Sept années passées auprès des Lions bleus, ils avaient souffert, mais le résultat était là. Chacun y alla de ses souvenirs et anecdotes.
Feliandre se remémora leur rivalité et leurs nombreux duels. Ash, lui, se rappela la bataille annuelle entre les Maisons, et le grand-maître lui raviva le souvenir de son arrivée. Et ainsi passa le temps jusqu’à l’heure du départ.
Le carrosse du vicomte portait son blason, un ours en vernis cobalt et argent sur fond sinople. Les sièges étaient rembourrés de cuir. Tiré par huit albinos à crinière blonde, des chevaux aux proportions excellentes et au port de tête majestueux. Bel exemple de ce que cela pouvait rapporter d’être de la famille d’une favorite du roi. Cette favorite s’appelait Lauriana, la plus grande beauté de son temps. La rumeur voulait que jadis, quand la majeure partie des elfes et des fées repartirent dans leur monde, certains restèrent vivre quelque temps aux abords de rives et de villages, et que certains habitants de la région ouest avaient du sang de ces êtres fabuleux dans leurs veines. Et la belle Laurianna ne faisait que renforcer ses rumeurs.
Une demi-journée après le départ du château de Seiros, Anchise n’avait pas changé d’avis sur son protégé. Il était égocentrique, pour ne pas dire bouffi d’orgueil, étroit d’esprit et sans charisme, sa conversation était inintéressante, et son humour cruel.
— Vous êtes un cadeau bien original, railla le vicomte. Un cadeau de ma sœur, elle a convaincu le roi de m’offrir un épéiste particulier pour mes vingt ans. J’imagine déjà la tête du duc de Payac.
— Monseigneur, répondit Anchise, piqué dans son orgueil. Que les choses soient claires entre nous. Je ne suis pas votre serviteur, mais votre protecteur. La personne que je sers est uniquement le roi et le royaume d’Albatrias. Et le roi a jugé que je devais le servir en vous protégeant. Mais entre nous, cela s’arrête là. Je ne suis ni le cadeau d’une catin ni une personne prête à écouter et obéir à tous vos caprices.
— Morbleu, vous ne pouvez me parler ainsi ! grogna Monte Pierres, outré.
— Bien sûr que si. Et je n’hésiterai pas à le faire, même en public, si vous m’y obligez.
— J’en réfèrerai au roi… Il vous fera fouetter.
— Ma foi c’est une possibilité, et j’imagine que la salle du roi est pleine de nobles gens qui apprécieront les détails du rituel, de vos pleurs, et du moment où vous vous êtes vomi dessus. Je suis sûr que cela animera les discussions de la cour.
Le vicomte ne répondit pas ; si jamais cela se passait ainsi, il deviendrait la risée du royaume et le sujet de conversations et de railleries pour des mois, voire plus. Alors, amer, il se résigna. Et le reste du voyage continua dans le calme.
Anchise comprit vite qu’il n’allait pas à la capitale. Bientôt, ils aperçurent de hautes murailles blanches, et au travers des arbres, des toits de tuiles, des tours et autres cheminées.
Si les convenances voulaient qu’un épéiste soit toujours calme et discret, cette fois il ne put se retenir.
— C’est le palais ? demanda-t-il.
— Oui, le château de Talongard, répondit le vicomte sans enthousiasme.
— Le roi s’y trouve ?
— Oui, ce soir, il donne une réception en l’honneur de l’ambassadeur d’Al-Safir. Ce sera une grande fête. Mais avant cela, nous devons nous vêtir convenablement, commenta Monte Pierres. Avez-vous une tenue correcte ?
— Ma tenue de Seiros sont mes plus beaux atours, Monseigneur, répondit poliment l’épéiste.
— D’immondes torchons ! Demain, je vous trouverai de nouveaux vêtements. Pour ce soir nous ferons avec.
Anchise fut surpris par cet acte de générosité, à moins que Monte Pierres ne fasse cela pour lui-même et ainsi briller devant la galerie, ce qui au final, semblait bien plus probable.
Le vicomte semblait impatient de parader avec son nouveau symbole de grandeur. Une bonne heure plus tard, le duo improbable était arrivé, montait ensemble les escaliers en marbre, et entrait dans le palais.
Heureusement, à Seiros, les aspirants étaient formés à côtoyer la cour, son étiquette, ses us et coutumes, et même les danses. Il avait donc confiance en ses capacités.
Les jardins du château étaient composés d’une verdure de symétrie parfaite. Une grande fontaine d’argent trônait au milieu. Tout ici était grandiose, féerique, mais bien réel.
Soudain, une voix de femme cria :
— Arrêtez-vous !
Des lanciers les encerclaient déjà. Anchise avait dégainé Blizzard, sa lame noire, et sur le point de transpercer le premier qui ferait un pas.
— Non, stop tout va bien ! calma une femme en tenue de cérémonie.
La jeune femme s’approcha.
— Navrée, c’est de ma faute ! dit-elle. Je me suis trompée et j’en suis confuse.
— Madame, je ne sais pour quelle raison cette erreur a été commise, répondit Anchise tout en rangeant Blizzard dans son fourreau. Mais elle a failli coûter la vie aux gardes.
Lesquels avaient une expression indéchiffrable, bien malin celui qui aurait pu dire s’ils étaient offusqués par les propos du jeune homme ou effrayés, tant il semblait très sérieux.
La jeune femme s’approcha calmement, elle n’était pas grande et plutôt fine, ses cheveux clairs étaient très longs et coiffés en deux grandes tresses. Un joli visage juvénile et des yeux noisette lui donnaient un très beau regard et un côté espiègle. L’épéiste la trouva magnifique Au vu de la tenue, il était évident qu’elle était une Sœur Silencieuse. C’étaient des femmes qui avaient comme pouvoir de voir l’invisible, comme les esprits et la magie. Elles servaient le royaume en détectant les dangers qu’un homme ordinaire ne pourrait percevoir.
Le vicomte, qui s’était jusqu’à présent caché derrière son protecteur, le contourna pour passer devant.
— Quel est cet outrage ? lança-t-il en colère.
— Monseigneur, reprit la sœur, je m’excuse, votre protecteur a une aura surnaturelle autour de lui, je n’ai compris que trop tard qu’il était un épéiste de Seiros lié à votre âme par magie.
— Qu’importe, ce n’est pas une raison. Savez-vous qui je suis ? Intolérable ! Vous auriez pu faire un blessé.
— Seigneur, je ne fais que mon travail, pour le bien du royaume. Quant à ce que j’aurais pu provoquer, ce serait aller au-delà de simples blessures.
C’était une femme de caractère qui ne se laissait pas intimider par Monte Pierres. Même si le sous-entendu sur la défaite probable de l’épéiste déplaisait à Anchise, mais un coup d’œil autour lui permit de réaliser que c’était probablement vrai. Des archers en alerte, quelques hommes d’armes et une gardienne qui observait de loin. Ces femmes en armure de plaques, cachées d’une capuche et d’un masque de fer ; les rumeurs disaient qu’elles n’avaient pas le droit de montrer leur visage... Elles accompagnaient les Sœurs Silencieuses. De redoutables guerrières, disait-on. La jeune femme regarda le protecteur.
— Messire chevalier, mes excuses également, votre arme et votre aura dégagent une magie à laquelle je ne suis habituée.
— Il n’est rien à excuser, ma sœur, vous faisiez votre devoir, moi le mien. Alors, acceptez également les miennes pour avoir levé l’acier sur vos gens.
— Je me plaindrai à votre Ordre, s’agaça le vicomte. À présent, venez, épéiste.
Anchise salua la sœur et le suivit. Ils arrivèrent au jardin, où le roi Emeraude se trouvait, entouré d’autres nobles. Le monarque était grand, plus grand que tous les hommes qui l’entouraient. Vêtu de velours, de fourrure et de pierreries, il resplendissait parmi la foule. Malgré ses trente-sept ans, ses cheveux avaient la couleur de la neige, sa barbe taillée était noire comme le charbon. Tout en lui évoquait la grandeur et la noblesse. Le roi arrêta sa phrase en plein milieu pour regarder le vicomte qui venait de le rejoindre.
Anchise posa un genou à terre. Monte Pierres salua gracieusement.
— Majesté, j’ai l’honneur de vous présenter Messire Anchise, épéiste de Seiros, protecteur personnel que Votre Majesté m’a si généreusement accordé.
Le roi observa le jeune chevalier et lui ordonna de se relever.
— Anchise, c’est cela ? Du même nom que l’une des dix élites, vous en êtes un descendant ?
— Non, Votre Majesté, juste un admirateur ! répondit le chevalier tout en se redressant et regardant le roi dans les yeux.
— Je vous reconnais, vous étiez le second des Lions bleus. Bienvenue à ma cour.
— Merci, Sire.
— Un jeune homme impressionnant, sourit le roi, voyez-vous, mon cher Vicomte, je ne pense pas avoir voulu être si généreux.
Il y eut des éclats de rire parmi l’assemblée. Monte sentit le rouge lui monter aux joues. Ce qui amusa beaucoup l’épéiste. Maintenant, il était à la cour royale, son destin était en marche.
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Epeistes : Les Chevaliers de Seiros
FantasyŒuvre que je dédicace à une personne cher. Helas la vie me l'as retirer un triste mois de décembre. Comme quoi le destin ne nous laisse pas forcement libre arbitre. Pour elle voici, les épéistes de Seiros, des combattants légendaires, aux aptit...