18- Trahison part 3

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Enfin la grande porte, et au-delà, les marches enneigées. Le seigneur Saga allait quitter Albatria pour la dernière fois, par une froide nuit d’hiver au temps hostile.

Le roi allait de palais en palais. Albatria, Valtrac, Insordi, et tant d’autres encore. Toute la cour le suivait à chaque déménagement puisqu’elle n’existait que par et pour lui.

Arrivé aux écuries, le portier l’attendait, le visage fermé. Saga comprit que l’accès au carrosse ou aux chevaux lui serait interdit. Le vieil homme, avec une légère peine dans la voix, murmura juste ces quelques mots :

— J’ai mes ordres !

Durant toute sa vie, le seigneur chancelier n’avait possédé que peu de choses, et n’avait ainsi jamais vécu dans le luxe, si ce n’étaient ses terres et son château. Et quand a l’argent dans son existence, il n’en avait pour ainsi dire jamais eu sur lui. Jamais il n’en avait eu le besoin non plus. Pourtant, il lui faudrait rentrer chez lui le plus dignement possible, sinon deux jours de marche l’attendaient.

Le visage de Nolaig se crispa, l’elfe toujours si souriant était furieux. Mais à quoi bon ? Ainsi étaient les choses désormais. Mais le garde du corps ne les voyait pas ainsi. Et son épée siffla au sortir du fourreau. Une belle lame longue et argentée, et en un instant, fut sous la gorge du portier. Ce dernier parut terrifié.

— Noble chevalier de Seiros. Ne soyez point dur avec un vieil homme, je ne fais que mon travail. 

— La vérité, dit calmement l’elfe, moi de même. Et si tu n’appelles pas un carrosse dans l’instant pour que mon pupille rentre en toute sécurité, je te ferai goûter à l’acier glacial de mon épée. Regarde-la de près, elle s’appelle Muguet, délicate comme la fleur de mai, et tranchante comme la morsure du vent.


L’expression déterminée du chevalier fit son effet, le vieux portier appela le cocher. 

Saga monta dans le carrosse, l’elfe menaçait toujours le vieil homme de sa lame, et quand il donna l’ordre au véhicule de partir, l’épéiste sauta comme un félin dans l’attelage et ferma la porte.

Les deux compères avaient quitté le château depuis plus d’une heure quand Saga brisa le silence.

— Je vous remercie, Sieur Nolaig, c’était courageux, du brigandage, mais courageux. Et je vous félicite également de votre diversion orale.

— Tout le plaisir fut pour moi, dit le chevalier avec un sourire satisfait.


Qu’allait donc devenir ce jeune chevalier ? pensa Saga. Sûrement entraîné dans la chute du chevalier.  Quelle naïveté d’avoir cru en l’amitié et la gratitude d’un roi !

— Puis-je vous poser une question, Monseigneur ?

— Vous tentez de dissiper mon humeur maussade, je subodore ?


— Bien sûr, confirma le jeune elfe en riant. Mais j’aimerais vraiment connaître la réponse.

— Allez-y, posez votre question. Posez-les quand l’envie vous prend. Les vieux esprits peuvent encore instruire les jeunes.


— Me raconterez-vous comment vous avez sauvé le roi ?

— J’aimerais le pouvoir, mais seul le roi a tout vu, et peu se vantent de pouvoir raconter en détail. Nous étions en 455 à Northe, sous les murs de Whingmire, c’était notre septième semaine de siège, cela, je me souviens bien. La matinée était chargée de brumes de poussière. Et le bruit, bien sûr.  Le vacarme des boucliers des épées et des sorts qui grondaient comme le tonnerre. Le roi, égal à lui-même, parcourait le champ de bataille à la vue de tous. Ignorant les flèches et les rochers qui pleuraient, les explosions des pouvoirs élémentaires.


Saga marqua une pause, il regarda par la fenêtre le triste hiver, aujourd’hui nous étions déjà en 499, sa jeunesse dorée avait filé bien vite. Maintenant, c’était l’heure de la vieillesse et du déshonneur. 

— Le hasard voulut que je me retrouve à marcher seul avec le roi, reprit-il. La garde personnelle étant en avance sur nous pour sécuriser le chemin.  Ce qui s’est passé à cet instant est flou, cinq sans visage surgirent. Mon corps a réagi à l’instinct. Pour être franc, je ne me rappelle pas le combat, tout est embrumé.  Quand je réagis, les cinq corps gisaient à mes pieds. Puis le commandant Auxence est arrivé en criant. Le roi a ri de bon cœur. Quel monarque !  Nous étions en pleine bataille et il riait aux éclats.

C’était mon âge d’or, des années de jeunesse, d’amours et d’aventures ; à l’époque, j’étais comme vous un chevalier de Seiros.  Des années de plaisirs. Mais la roue du temps tourne, elle tournera ainsi pour l’éternité, transformant le présent en souvenir.  Et les souvenirs en légende, qui finiront gravés en nos cœurs comme en de la pierre.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant