4. Détresses

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Dimitri descendit rapidement les escaliers en pierre et s’engagea dans le couloir qui menait à la bibliothèque. Saga le rattrapa. Le chef des Lions grogna un juron et se plaça dans une embrasure de fenêtre.

— Retourne au festin, ne gâche pas ta soirée. Prends ma place en bout de table, ainsi les gens de notre maison sauront, dit un Dimitri plus perturbé que jamais.

Saga posa la main sur l’épaule de son frère d’armes. C’était difficile de le voir si affecté par la situation. 

— Mon devoir est de t’accompagner, allons, reprends-toi, Chevalier ! Tu vivras à la cour, au milieu de moult jolies filles. Quelle sinécure ! Les femmes, la danse, les festins, les parties de chasse, et jamais un problème.

— Je suis devenu un cadeau, un objet, je vais être une décoration pour ses parades. Notre Ordre est corrompu.

— Une longue vie tranquille, n’est-ce pas mieux qu’une vie courte ?

— Non, jamais ! Nous sommes des combattants d’élite. J’ai passé sept ans de ma vie à endurer les pires souffrances, poussé au-delà des limites physiques et morales. Pour qu’à la fin, je sois un objet d’exhibition ! Je ne servirai plus à rien.

C’était tellement vrai, dans le fond, que Saga ne put argumenter. Il baissa les yeux, fixant la pierre sombre.

— Laisse-moi ! cria Dimitri. Pour l’amour de Dieu, laisse-moi. J’ai besoin d’être seul.

Saga aperçut une larme sur la joue de son ami. La détresse de Dimitri était palpable et faisait mal au cœur, il n’avait plus de mots pour le réconforter.  Il allait être lié par magie à un personnage imbuvable, un triste sort pour un épéiste de sa trempe.

Heureusement, ce fut cet instant que choisit Nell pour arriver. Il était grand et mince, ses cheveux courts et blancs avec une barbe taillée, ses sourcils épais et noirs ; d’une main, il tenait un bougeoir, de l’autre, un bâton, sous son bras, un imposant grimoire.

Nell était un druide, l’un des derniers en ce monde. Héritier d’un savoir transmis uniquement à l’oral. Certains disaient que malgré le fait qu’il ne soit pas un Epéiste, il était la quatrième meilleure lame du continent, tout du moins dans sa jeunesse. En plus de cela, c’était un homme observateur et vif d’esprit. Il comprit la situation en un regard.

— Mauvaise nouvelle, mon garçon ?

Le chef des Lions restant muet, Saga prit la parole.

— Dimitri est un peu secoué, Monsieur. Il a été assigné au vicomte de Monte Pierres.

— Par Eriath, qui est-ce ? demanda le druide.

— Le frère de la nouvelle favorite du roi. Mais c’est un lien d’âme qui aura lieu.

Nell fit une grimace, puis regarda sévèrement les jeunes hommes.

— À vos yeux, un Slaighre particulier vaut-il moins qu’un garde royal ?

— Non, Monsieur, répondit Dimitri, noyé dans sa détresse.

— Un sort d’âme qui vous lie à un seul homme est un acte rare, et un honneur. Actuellement, il y a cent quarante-cinq Slaighres dans le monde. Seulement dix ont eu votre honneur. Je vous félicite, mon garçon.

— Vous me félicitez ? rugit-il. Le vicomte est un moins-que-rien, un sac à merde. Même un bœuf qui rumine a plus de noblesse que cette raclure. À quoi lui servirai-je ?

— Le roi en personne juge qu’il a besoin d’un protecteur. Pensez- vous mieux savoir les affaires du royaume que son souverain ? La nouvelle génération de Slaighres est-elle au-dessus des rois et des empereurs ?

Dimitri sera fort les doigts et la mâchoire.

— Le roi sait ce qu’il fait, finit-il par lâcher. Le grand-maître a dû lui dire que j’étais une bien médiocre lame, que je ne pouvais être envoyé en quête urgente, ou protecteur du royaume ou de personnages importants. Alors le roi m’écarte en me donnant à un bouffon, comme l’enfant jette au chien l’assiette qu’il n’aime pas.

— Vous délirez, mon garçon. Personne ici ne juge les élèves de cette façon. Vous le savez, tous ceux qui ne sont pas à la hauteur meurent ou alors sont rejetés avant l’âge de quinze ans. Si les Lames de Seiros sont si réputées, c’est que de ses murs ne sort et ne vit que l’élite. À présent, cessez vos jérémiades, vous vous faites honte. Si le grand-maître vous voyait, vous seriez radié de la guilde.

Les yeux pleins de désespoir de Dimitri se posèrent sur Saga qui était resté muet durant toute la conversation. Son ami, lui, faisait peine à voir. Le chef des Lions était un bon leader de maison, courageux, intelligent et fier. Trop fier. Et c’est son orgueil blessé qui parlait. Qui pourrait lui en vouloir, au final ? Pourtant, il lui restait vingt-quatre heures seulement pour accepter son destin.

— Tu es un épéiste de Seiros, commença Saga, l’arme humaine la plus dangereuse qui soit, loyale, sans peur, noble de cœur. Peu importent les défis qui t’attendent, tu les surmonteras.

Il glissa un bras amical mais ferme sur les épaules de son ami et l’entraîna dans le couloir. Nell les suivit du regard. Un regard plein d’inquiétude.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant