16- La Chute

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Le vicomte rentra peu avant l'aube et se mit au lit, le plus satisfait du monde. Anchise lui, se contenta de marcher de long en large. Passant de pièce en pièce. Dans sa tête, une multitude de choses tournaient : les changements de Monte Pierre, ses idéaux de jeunesse, et encore et toujours Dimitri. De rêves héroïques, il était tombé à traître à la couronne.



Au fond de lui, il espéra que le complot serait découvert, mais lui ne pouvait rien faire pour l'exposer. Alors il se mit à rêvasser, et dans cette rêverie, le bourreau montrait la tête décapitée du vicomte au public. Avant qu'il ne suive lui-même.



Il fut sorti de ses songes par le galop de chevaux. Il courut donc au rez-de-chaussée où l'avait devancé le capitaine, un marin qui avait loué une chambre pour six mois. Il lui avait narré durant de longues nuits d'invraisemblables histoires de voyages. Des ports gigantesque, de terres inconnues, des créatures fabuleuses, des femmes exotiques, et autres aventures extraordinaire.



Quelqu'un frappa fortement sur la porte.



- Ouvrez ! Au nom du roi ! lança une voix puissante.



Le capitaine sourit et à la grande surprise de l'épéiste, se pencha à son oreille et lui murmura :



- Voyez ! Votre renard est pris dans son propre terrier. N'était-ce point votre vœu ?



Comment pouvait-il savoir ? pensa l'épéiste. Peu importait, les jeux étaient faits. Le rituel reprit le dessus sur sa volonté. Il prit donc le bras du marin et le pria d'aller prévenir le vicomte de fuir pendant qu'il les retiendrait.



À la porte, l'on frappa à nouveau.



- Dernière sommation ! Au nom du roi, obtempérez !



Le chevalier ouvrit le judas. Il y vit un visage pâle et cerné encadré par des boucles brunes, vêtu de noir, et avec lui des mages. Des hommes en noir et couverts d'un masque blanc. Des spécialistes de la conjuration.


Anchise comprit de suite, c'était l'Ordre d'Inquisition du roi. Derrière l'inquisiteur, une douzaine d'hommes en armes recouverts d'armures de teinte dorée, des protections qui n'avaient été forgées par aucun être du continent, mais héritées des Narmodëls, les êtres éternels venus avec Eriath au commencent. Aussi légères et souples que la soie, et plus dures que le diamant. Le doute n'était point possible, c'étaient les chevaliers saints. Des combattants d'élite. Les vaincre tous était impensable. Par contre, il pouvait essayer de laisser du temps au vicomte pour fuir...



- Sa Seigneurie n'est pas chez elle, mentit le chevalier.



- Mensonge !




- Je ne parlais pas au sens littéral. Croyez bien que je n'oserais mentir à l'Inquisition. Je vous présentais juste l'excuse habituelle quand on ne veut...



- Suffit, Chevalier ! Vous cherchez à gagner du temps. Je sais vos manières, coupa l'inquisiteur d'une voix sèche.




- J'essayais juste de parfaire votre éducation. Il se peut que Sa Seigneurie ne daigne...



- Dernière sommation, ouvrez au nom du roi ou vous mourrez !




Anchise referma le judas et traversa le couloir. Il regretta sa dague qui lui aurait servi pour son premier et dernier vrai combat à mort. Et attendit au pied de l'escalier de marbre rose. Il fallut moins de trois minutes pour que l'inquisiteur et ses hommes arrivent à lui.



- Anchise, Chevalier de Seiros et garde personnel du vicomte de Monte Pierre, je vous mets aux arrêts.



- De belles paroles, mais qu'en est-il des actes ? provoqua le jeune homme.




- Vous êtes une âme perdue, répondit l'inquisiteur. Nous savons tout. Vous avez mis votre dague en gage, puis vous vous êtes rendu à la maison Warrten voir les amphores, ces immondices qui usent de magie innommable.



- Ainsi, c'est leur nom ? Voyez-vous, je l'ignorais.




L'épéiste admirait le regard et la prestance de son adversaire. Et son calme froid comme le serpent.



- Je dois défendre le vicomte, je ne peux faire autrement, vous le savez. Je suis lié à lui et lui à moi.



- Pourtant, c'est vous qui l'avez trahi et nous avez menés ici. Notre Sœur Silencieuse vous suivait vous, et non lui.




- Alors voyez-vous, mon obligation est d'autant plus grande, dit Anchise en sortant Blizzard de son fourreau.



- Guerriers saints, saisissez cet homme. Je le veux vivant ! ordonna l'inquisiteur.




- Je vous avertis, je ne vous épargnerai pas. Il n'y aura pas de prisonniers ni d'un côté ni de l'autre, répondit Anchise. Désolé, Messire Inquisiteur, au fond de moi, j'espère que vous les arrêterez tous, mais je ferai tout pour vous en empêcher.



- Vous êtes bien illogique à souhaiter leur perte. Alors pourquoi mourir pour cette cause perdue ?




- Vous ne pouvez pas comprendre cela. Je suis sous l'effet d'un rituel magique. Je ne puis lutter, ma seule cause est celle de Monte Pierre. Peu importe ce qu'il a fait. Je mourrais pour lui. Pourtant, je sais que je finirai dans l'oubli et en honte du château de Seiros.



- Hubert, imbécile ! s'exclama une voix.




Le commandant Auxence entra accompagné du danse-lame Nuronelle.



- Il fallait nous attendre ! commença Auxence.



Anchise ne les avait même pas vus arriver. Si c'étaient ces deux hommes qu'il devait affronter, il n'avait aucune chance, le combat ne serait pas long. Et sa mort rapide.



- Les lois exigent qu'il aille au cachot. Pour y pourrir. Il est recherché en tant que conspirateur, non comme témoin. C'est un ennemi de Sa Majesté et de la Couronne.



- Vous pouvez vous assoir sur vos textes de loi, répliqua Auxence qui perdait patience. Le roi lui pardonnera.




- Hubert, ne faites pas l'ignorant! intervint Nuronelle. Vous savez en quoi consiste un sort d'âme. Si vous le faites prisonnier, il deviendra fou.



- Eh bien, nous verrons comment il réagira en voyant Monte Pierre aux arrêts. Car sa cause était bel et bien perdue, lui ai-je dit.




Anchise entendit des murmures et des pas au-dessus et derrière lui. Il recula de quelques marches. Était-ce une ruse ? Sinon, sans cela tout le temps qu'il avait passé à distraire l'inquisiteur, c'était Auxence qui l'avait détourné de son devoir. Le commandant de la garde royale aurait-il toujours un temps d'avance sur lui ? Non et non, impensable !



- Hubert, pauvre fou ! souffla Auxence.



Anchise recula à nouveau d'une marche sans quitter ses adversaires du regard.



- Regardez, Épéistes ! cria l'inquisiteur. N'ai-je pas dit à trois reprises que votre cause était perdue ?



- Par Eriath, Chiron, vite le filet de Mithril ! ordonna Auxence.




Anchise se retourna, le vicomte était pieds et poings liés. Deux chevaliers saints l'escortaient. Anchise monta l'escalier plus vite que jamais, son corps bougeait tout seul, mû par l'instinct, il planta Blizzard dans la gorge du premier et tua le second en un éclair. Le chevalier de Seiros écarta Monte Pierre pour charger les lanciers qui accouraient derrière. Il tailla au jarret les deux premiers gardes, qui en tombant, firent perdre l'équilibre au vicomte. Anchise aurait pu le rattraper si à cet instant Chiron et Nuronelle ne l'avaient pas enveloppé dans le filet.



Le nobliau poussa un cri d'horreur tout en dévalant les escaliers en marbre la tête la première. Il arriva au pied de l'inquisiteur dans un craquement sinistre et une mare de sang, nuque et crâne brisés.



Anchise hurla et se contorsionna dans tous les sens comme le ferait une personne possédée. Une scène qui aurait pu glacer d'effroi n'importe qui. Puis il fut ligoté solidement dans le filet. Nuronelle saisit les pieds, Chiron les épaules, et tel un tapis il fut chargé dans le carrosse qui prit la direction du château de Seiros.


Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant