23- Informations

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Xerios redescendit l’échelle grinçante et hocha la tête pour signaler qu’il n’y avait aucun problème sur le toit — la sécurité étant sa responsabilité, bien sûr. Il y dormirait sans doute. Il s’assit en tailleur près de la porte. Lepras frotta ses mains noueuses avec un bruit sec.

— Vers l’aurore, Messeigneurs, allez à la cour du monastère et donnez votre nom aux Lizpiks, des hommes-reptiles qui veillent à la porte. La liste d’attente est longue, on l’imagine, ajouta-t-il avec apparemment une grande joie. Environ une heure après le lever du soleil, on commence à appeler certains noms. Si le candidat de la veille a gagné, alors, on le rappelle — pour qu’il puisse doubler sa fortune, voyez-vous. Sans cela, le nom suivant est appelé. Si cet homme ne répond pas, alors les Lézards appellent le suivant, vous comprenez ? Aucun homme n’aura de deuxième chance s’il rate la première.

C’était la première information nouvelle. Anchise avait déjà souvent entendu le reste. Même l’étrange histoire des hommes-lézards. Les marchands avaient soutenu que le monastère de l’Épée d’or était gardé par de gros reptiles parlants, de la taille d’un homme.

— Attendez. Ces Lézards… Ils écrivent vraiment les noms ?

— Les Lézards ne peuvent pas écrire, Monseigneur ! ricana Lepras, étonné.


— Je n’en ai jamais vu non plus qui pouvait parler. La liste d’attente est très longue ?

— Quelques semaines, en général, Monseigneur.


— On m’a dit quelques mois.

— Elle est rarement si longue. Je ne m’y suis pas penché récemment.
Hubert se gratta le genou. Il était entendu qu’il bougerait la main gauche chaque fois qu’il sentirait un mensonge.


— Alors les reptiles se rappellent chaque nom dans le bon ordre ? Pendant des mois ?

— Ce ne sont pas des reptiles ordinaires, Monseigneur. Ils se rappellent le visage d’un homme pendant des années. Où en étais-je ?
Le discours de Lepras était apparemment mémorisé de longue date. Ayant été interrompu, il lui faudrait peut-être reprendre au commencement.


— Le reptile vient d’appeler mon nom.

— Ah, oui. Quand un homme répond, alors il s’avance pour relever le défi. Les Lipiz s’assurent qu’il ne possède que sa propre arme.  Il frappe le gong. La porte s’ouvre et l’un des douze frères sort avec une des armes légendaires. Ils s’affrontent. Si le visiteur bat le frère, on l’emmène à l’intérieur où il peut prendre tout l’or qu’il pourra déplacer. Tout ce qu’il lâchera avant d’atteindre la porte devra rester en arrière. S’il chute, il perd tout, mais c’est un juste châtiment pour une trop grande avidité… C’est donc très simple. Je l’ai vu faire bien des fois.


— Que se passe-t-il si le frère le tue ? Le vieil homme haussa ses petites épaules.

— Il meurt, bien sûr. Mais vous me paraissez un guerrier noble et viril, Monseigneur, ainsi que vos compagnons. Il coula un regard à Hubert. Il ne ressemblait à rien, mais était pourtant un excellent amateur.


— Je suis sûr que vous prospérerez, surtout si vous vivez sous ce toit à la si bonne fortune.

La porte s’entrouvrit. Une femme entra à petits pas, portant un seau en cuir à deux mains, trois cornes à boire sous chaque bras.
            — Ma grande fille, présenta Lepras. N’est-elle pas ample ? Dans tout l’Ashan, il n’est de poitrine plus généreuse. Baisse ta robe, enfant, et montre tes charmes à ces nobles seigneurs.

— Ce ne sera pas nécessaire, assura vite Anchise. Laisse la bière, femme. Nous nous servirons nous-mêmes. Il attendit qu’elle soit repartie.

— Comment peut-on prendre contact avec les frères ?


— Euh… Je ne comprends pas, Seigneur.

— Si je veux simplement leur parler, du moins à l’un d’eux, puis-je me présenter à la porte à un autre moment sans relever le défi ?


— Mais pourquoi ? (Lepras paraissait si décontenancé qu’il était évident qu’aucun autre de ses clients n’avait jamais dû lui poser la question.) Quelle autre raison auriez-vous de les voir ?

— Imaginons que je veuille leur poser une question.


— Je ne sais pas si quiconque l’a déjà fait, Monseigneur. Personne n’entre ou ne sort jamais du monastère, sauf à la façon que je vous ai dite.

Les doigts d’Hubert ne bougèrent pas.

— Qui apporte leur nourriture ? demanda le chevalier.

— Je… je l’ignore, Seigneur !


— À quelle fréquence le candidat gagne-t-il ? Une fois par mois ?

— Oh, plus souvent que cela.


Le marquis de Krestra se frotta le menton.

— Et ces frères sont-ils bien immortels, comme l’affirme la légende ?

— Ils doivent en effet l’être, Votre Honneur, dit le vieil homme par inadvertance. Je les ai toujours vus. Quand j’étais enfant, mon père m’asseyait sur le mur pour regarder les duels. Et c’étaient les mêmes hommes alors que ceux qui se battent aujourd’hui. Excepté deux. Je les connais tous — Riegan, Charonne, Elhisea, Goneril et tous les autres. Ils ne sont pas plus vieux aujourd’hui qu’à l’époque.
Les doigts de Hubert étaient immobiles.


— Merci.

Le chevalier lança une pièce que Lepras attrapa dans l’obscurité avec une agilité étonnante. La porte se referma derrière le vieillard, et l’inquisiteur prit la parole.

— Vrai, dans l’ensemble.

— Mais pas une fois par mois ?


— Non. Que nous ont dit les gardes de la caravane ?

— Environ une fois par an, voire moins, dit le jeune Loup reniflant de dégoût.


— Ils doivent être des combattants exceptionnels. Et les concurrents sont entêtés, lança l’inquisiteur.

— Le jeu n’en vaut pas la chandelle, répliqua le jeune Loup.

— Peut-être pas pour Sieur Xerios, concéda Anchise. Mais si vous étiez un jeune paysan sans rien — pas de troupeau ni de terre et aucun moyen de prendre épouse — vous penseriez peut-être autrement.

Le jeune homme si prudent n’était apparemment pas d’accord. Il risquait moins à accepter ce défi que son impulsif maître. Hubert se leva et traversa la pièce, avec un long craquement du plancher, pour inspecter les pots en pierre.

— Pensez-vous que les duels sont truqués pour attirer suffisamment de candidats ?

Anchise n’y avait pas pensé.

— Vous pensez que les frères perdraient délibérément une fois par an ? Par Eriath ! Ils étaient peut-être encore plus exceptionnels qu’on le pensait donc…

— Vous n’avez pas parlé de sieur Haguen.


Xerios fit de cette phrase une question.

— J’attendais de voir si notre ami miteux parlerait de lui. À présent, je me demande pourquoi il ne l’a pas fait. De plus, nous avons le temps devant nous. Nous aborderons ce mystère étape par étape.

— Ha ! Vous pourriez devenir un bon agent, remarqua Hubert de sa voix désagréable. Voyant un éclat dangereux dans l’œil de sa Lame, Anchise se hâta d’intervenir.


— Quand nous aurons mangé, si nous ne tombons pas immédiatement malades, j’irai me promener en ville.

Xerios se leva et fit un pas pour se dresser devant la porte. Il dégaina sa lame et la dressa en un salut de duelliste.

— Il faudra d’abord me passer sur le corps.

— Rangez votre épée. Vous bluffez, sourit son maître.


— Mais je ne plaisante pas, Sieur Anchise. Tous ces jeunes paysans dont vous parliez, piégés ici depuis des mois à attendre leur tour pendant que l’argent commence à manquer…

Il n’avait pas tort. Djelad à la nuit ne serait pas un havre de tranquillité, et il serait plus prudent de l’explorer pour la première fois de jour.

— Très bien, infirmière, je resterai sage cette nuit, abandonna à contrecœur le chevalier.

— Merci bien, cela me rassure que vous écoutiez la voix de la raison.


— Il me semble que ceci est le pot à eau, et ceci le pot de chambre. Pourriez-vous nous le confirmer, Sieur Xerios ? plaisanta Huber que l’air paternaliste du jeune homme amusait.

Environ une fois par an, le marquis de Krestra faisait preuve d’un semblant de sens de l’humour.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant