38- Captif

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Le chant était familier. Ainsi que l’odeur de végétation fraîchement coupée. Oui, c’était une conjuration pour guérir les blessures, celle que la garde et que le château de Seiros utilisaient. Et, ah ! L’arrivée des esprits était douloureusement intense. La dernière fois qu’il l’avait sentie aussi durement, il s’était cassé la jambe en faisant le pitre sur le toit de l’armurerie, avec Chiron et Nuronelle. Il devait avoir eu un accident. Il était étendu sur une paillasse au centre de l’octogramme. C’est lui qu’on enchantait… sans doute pour cette raison qu’il avait mal, mais pas à tant d’endroits… pas un combat… à moins que, taillé en pièces ? Pas encore tombé d’un toit, quand même ? Il regarda faiblement le plafond et vit toute une armée au-dessus de lui. Beaucoup trop. Murs de pierre nue, cheminée, dessous d’un escalier en bois. Les choses allaient et venaient. La conjuration s’acheva. Deux visages ronds, identiques et roses, le regardèrent dans les yeux. Les doigts palpèrent. Une voix se plaignit avec humeur.

— Eh bien, on ne peut rien d’autre pour lui ici. Je pense qu’il ira bien dans un jour ou deux. Combien de doigts, Monseigneur ?

Huit doigts dérivèrent devant les yeux d’Anchise. La question ne lui paraissait pas adressée, aussi ne dit-il rien.

— Vous pouvez parler ? demandèrent les deux visages.
Question idiote. Les visages disparurent. Les seize hommes le regardaient d’une hauteur incroyable. Il ne fallait pas rester ici, on allait lui marcher dessus. Mais trop d’efforts pour se relever.

— Qu’il se repose une heure ou deux, dit la voix pétulante. Puis nous réessaierons. Je ne comprends pas ce qui ne va pas dans cet octogramme. L’équilibre des éléments est très fort, très étrange. Tout allait bien la semaine dernière. J’en suis certain.
La voix se fit plus discrète.

— Il vaut peut-être mieux que Sa Majesté ait arrêté de prendre son traitement ici. Je pense qu’il faudra tenter de réaligner cet octogramme. Vous avez parlé d’un autre patient ?

— Un coup d’épée, Docteur. Il a perdu beaucoup de sang.

Anchise sentit des mains puissantes soulever sa paillasse et le porter au loin. Sa contrariété devant ce geste se transforma en intérêt quand il aperçut la meule à maïs, les billots, les points d’eau — en double, tout en double. Les étagères, les corbeilles. Deux linteaux de porte, aussi. Une autre pièce, tout aussi froide. On l’y déposa.
— Je ne pense pas qu’il fasse semblant, dit une nouvelle voix. Mais ne le quittez pas des yeux. Souvenez-vous de qui il s’agit. Même à moitié mort, il reste bien meilleur que vous.
Quelqu’un lui posa une autre couverture sur les épaules. Les pieds d’une chaise grincèrent sur les pavés. Bientôt, les chants reprirent, très loin. Les brumes s’écartèrent, revinrent, puis repartirent. Il était dans la salle de garde de la loge de la forteresse du tonnerres — étendu par terre, et aussi loin que possible de la porte. Il y avait quatre gardes avec lui — deux debout, deux assis — pour le garder. Mais il n’allait pas s’enfuir tout de suite. Le poignet gauche lui faisait mal. Le visage aussi — la bouche et l’œil gauche. Ses côtes le brûlaient. Ç’aurait pu être pire. Pas trop fragile, pour un vieillard. Sa vue était encore trouble. Autant fermer les yeux, écouter les bruits de la conjuration qui venaient de la cuisine, Nolaig, qu’on réparait aussi ?

Deux têtes valent mieux qu’une. Ils penseraient à s’enfuir quand ils seraient tous les deux valides. Mais avant demain au petit-déjeuner. S’il essayait, il s’endormirait…

— Bah, il est jeune, dit la voix délicate.

Le médecin était entré dans la salle de garde. Les chants étaient finis.

— Il récupérera presque tout son sang en quelques heures. Beaucoup de boisson, beaucoup de viande rouge, et ce sera à nouveau un tigre en une semaine. Bon, je vais aller jeter un coup d’œil à Sa Majesté et…

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant