42- Vers l'ouest

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Le carrosse était en morceaux, couché sur le flanc. Trois chevaux avaient réussi à s’enfuir, à moins qu’on les eût détachés, mais le quatrième avait été achevé par une personne qui n’avait pas regardé dans le véhicule, ou sans grande attention. Quand Anchise se hissa dessus pour regarder par la porte brisée, sa lanterne n’éclaira d’abord que quelques bancs délogés. Puis, à la lueur erratique de sa lanterne, il ne fut pas aisé de descendre dans l’habitacle sans trop s’appuyer sur les débris. En équilibre précaire, il entreprit de sortir les décombres pour les jeter par-dessus le toit. Rien. Il ressortit des ruines pensif.

Le constat était simple : le vil serpent avait fui. Il avait beau être sournois, il avait toujours eu un don pour survivre à tout.

— Alors la lecture était correcte. Il savait que vous tueriez un jour le roi, dit Auxence en rejoignant l’ancien chancelier.

— Je pense que c’est lui qui l’a tué, rectifia le chevalier en dégainant l’épée qu’il avait empruntée. En lui donnant cette maudite immortalité. L’homme que j’ai rencontré aujourd’hui n’était pas le roi que je servais depuis toujours.

— Cherchons-nous à justifier notre trahison ? En essayant de nous convaincre d’avoir bien agi ? Demanda Chiron.

— Peut-être avons-nous mal agi en voulant faire le bien ? Aurait-il pu rester roi jusqu’à ce que le soleil lui-même meure ? chuchota Nuronelle.

— La magie noire n’est pas sans conséquences. Surtout que celle-ci était incomplète, rassura Auxence.

— Et Krestra a fui, nous entendrons tôt ou tard à nouveau parler de lui, lança Chiron donnant une tape virile sur l’épaule d’Anchise.

— Nous serons prêts. Nous devons reconnaître que certaines de ses motivations étaient honorables. Répondit Anchise.

— Vas-tu le traquer pour ta vengeance ? Questionna l'elfes

— Aucunement, soupira Anchise. Je suis trop vieux pour la vengeance. Il n’a rien à craindre de moi. Tant qu’il ne prépare pas un nouveau mauvais coup.

Quand le soleil se leva, rendant le blizzard blanc et non plus noir, Anchise se tenait avec les jeunes chevaliers de Seiros, dans une morgue de fortune au village. Le roi était dans une autre pièce. Celle ou se trouvait Anchise contenait les autres victimes de la nuit : Stocwell finalement retrouver, quarante gardes d’Onyx, dix des apprentis chevaliers de Seiros, un serviteur pris dans le carnage — et Nolaig.

Ils contemplèrent en silence ce héros.

— Il est mort pour me sauver, dit l’ancien chancelier. Prenez son épée. Elle s’appelle Muguet. Veillez à ce qu’elle prenne sa place et soit honorée à jamais.

— Cette tâche vous revient, Monseigneur.

— J’ai d’autres engagements.

Il était régicide. Il serait ramené à Albatria pour payer le prix de la haute trahison. En soi, il n’avait aucune importance. Mais il craignait que tous les apprentis épéistes meurent avec lui. Ce serait une tragédie.

L’intendant du roi était le duc de Ferghus. Trois autres membres du Conseil de régence étaient des nobles, et deux autres avaient été ses protégés à la Chancellerie. Le premier acte du Conseil fut de le convoquer et d’enfermer Anchise au Bastion. Le pays resta pacifique, pleurant Emeraude avec plus de nostalgie que d’amour, et une bonne part d’appréhension pour l’avenir. Son cadavre fut ramené pour y gésir en l’état, puis fut rendu aux éléments avec la pompe et le respect dus. Le navire almirien avait quitté Bas-Port au plus fort de la tempête, à la surprise des marins locaux. Ils n’avaient pas perdu de temps. Personne n’attendait de réponse avant au moins dix jours, mais ils étaient déjà là — élancés, beaux et sinistres dans le soleil d’hiver ; trois longs navires avançant à la rame contre le vent et la marée, jusqu’au cœur de la capitale. Bien qu’Anchise ne vît aucun détail d’où il était enfermé, l’amiral affirma qu’il s’agissait bien de navires dragons. L’absence de leur proue en forme de tête de dragon ou de leurs voiles de guerre rouges indiquait qu’ils venaient en paix. Au mât du plus grand flottait une bannière délicate qui pouvait bien être un étendard royal. Anchise fut enfermé dans la cellule qu’Auxence avait occupée il y a tant d’années. Elle était humide, froide et sombre, et aussi très ennuyeuse: nul ne pouvait rendre visite à son occupant. Au moins n’était-il pas aux fers comme Auxence l’avait été.

Epeistes : Les Chevaliers de SeirosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant